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Les produits régionaux: une success story

Pirmin Schilliger & Urs Steiger
Les denrées alimentaires et d’agrément telles que fruits et légumes, produits laitiers, pain, viande et vin qui portent un label régional sont de plus en plus appréciées en Suisse. On doit ce succès à des milliers d’agricultrices et d’agriculteurs, de détaillants du secteur alimentaire, d’organisations privées à but non lucratif, d’intermédiaires, d’entreprises de transformation artisanales et industrielles, d’entreprises de logistique ainsi qu’aux consommatrices et aux consommateurs. Différents programmes de promotion des politiques agricole et régionale participent à ce succès. Par leur intermédiaire, la Confédération et les cantons soutiennent de nombreux projets tout au long de la chaîne régionale de création de valeur ajoutée. Le boom régional s’est désormais étendu aux offres touristiques et aux produits non alimentaires. Il pourrait encore se renforcer, d’autant plus que la production régionale durable coïncide avec les objectifs d’une économie circulaire porteuse d’avenir.
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La laitue pommée du magasin Migros de Lucerne est fraîche comme une rose. Son étiquette révèle qu’elle a été cueillie aux portes de la ville. Ce légume à feuilles est l’un des quelque 18’500 produits régionaux certifiés actuellement en vente dans le commerce de détail alimentaire et sur les marchés de toute la Suisse. Ce segment est en plein boom. Les ventes de ce secteur ont augmenté de 10% par année entre 2015 et 2020 selon l’étude Produits régionaux 2022 de htp St-Gall (spin-off de l’Université de St-Gall) et de l’Institut d’études de marché LINK en collaboration avec la Haute école d’économie de Zurich (HWZ). Le chiffre d’affaires réalisé avec ces produits a probablement dépassé le seuil de 2,5 milliards de francs. «Les produits régionaux sont le secteur à plus forte croissance du domaine alimentaire», déclare Stephan Feige, coauteur de l’étude et chef du département de la HWZ Gestion authentique des marques. Cette croissance rapide reflète le succès de la stratégie de marketing des grands distributeurs Migros et Coop. Mais elle se fonde également sur l’engagement de milliers de paysannes et de paysans qui assurent le ravitaillement nécessaire au niveau de la production. «Il y a longtemps que les produits régionaux ne sont plus une niche. Du Jura au Tessin en passant par les Alpes, ou du lac de Constance au Léman, il y a partout des success stories», affirme Gabi Dörig-Eschler, directrice de l’Association suisse des produits régionaux (ASPR). Les quelque 2800 productrices et producteurs qui misent sur la marque regio.garantie de l’ASPR pour distinguer leur assortiment comme produits régionaux réalisent un chiffre d’affaires de 1,7 milliard de francs par année.

Un bleu comme point de départ

Le label Appellation d’origine contrôlée (AOC) ou protégée (AOP, depuis 2011) est considéré comme le précurseur en faveur des produits régionaux. Ce label, qui atteste l’origine géographique de certaines spécialités, a une longue histoire derrière lui. Déjà au XVe siècle, les habitantes et les habitants de Roquefort (France) ont obtenu un monopole royal pour la fabrication du bleu légendaire du Massif central. Ce produit a été protégé par décret en 1925. De nombreux pays européens appliquent maintenant le modèle français pour leurs spécialités régionales les plus célèbres. Ils les caractérisent soit par le label de qualité AOP, soit par l’IGP (Indication géographique protégée).

La coopérative Migros Lucerne a lancé en 1999 son propre programme régional avec «De la région, pour la région». D’autres coopératives Migros n’ont pas tardé à reprendre ce concept. Volg a suivi en 2005 avec «Délices du village» et Coop en 2014 avec «Ma région». Ensuite, Landi a pris le train en marche en 2016 avec «Naturellement de la ferme», Aldi en été 2022 avec «Saveurs suisses » et Lidl Suisse peu après avec «Typiquement». Plus aucun commerçant ne peut se permettre aujourd’hui de se tenir à l’écart des produits régionaux.

Les moteurs de cette évolution

Ce boom repose sur plusieurs facteurs. Voici l’explication de Stephan Feige: «La régionalité est à la mode au sein d’une partie rapidement croissante de la population. Une des raisons de cette tendance est la recherche d’authenticité et d’origine précise, aussi en réaction à la globalisation.» Les consommatrices et les consommateurs associent aux produits régionaux les valeurs de qualité et d’identité, mais aussi de durabilité écologique et sociale. Selon l’étude de la HWZ, ce sont surtout les femmes qui leur associent des caractéristiques supplémentaires telles que valeur ajoutée sociale, équité et bien-être animal. Un argument supplémentaire est la traçabilité des produits qui crée de la confiance grâce à la transparence et à la proximité avec le producteur. La boucherie Meaty, Genève et Lausanne, vend par exemple exclusivement de la viande provenant d’exploitations agricoles des environs. Le plus souvent urbaine, la clientèle peut s’informer sur l’élevage des animaux jusqu’au moindre détail via un site Internet. La régionalité rencontre une forte disposition à payer chez les consommatrices et les consommateurs. Selon l’étude de la HWZ, ils sont prêts à payer 45% de plus pour des œufs qui viennent de poules de la région. Les légumes régionaux peuvent coûter 30% plus cher, les fromages à pâte dure 20%.

Il n’est pas possible de raconter la success story des produits régionaux sans mentionner les nombreux autres acteurs de la chaîne de création de valeur ajoutée. Non seulement quelques organisations à but non lucratif, mais aussi différents programmes de promotion de la Confédération apportent un soutien décisif. L’Office fédéral de l’agriculture (OFAG) joue un rôle de leader. Il soutient des projets de développement régional (PDR) dans lesquels l’agriculture prend une part déterminante. Il promeut en outre la qualité et la durabilité dans le cadre d’une ordonnance conçue à cet effet (OQuaDu). L’OFAG soutient aussi des projets par le biais du Plan d’action national pour la conservation et l’utilisation durable des ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture (PAN-RPGAA), lancé en 1999. Il promeut enfin la conservation des ressources zoogénétiques – un programme actuel de survie pour 25 races anciennes d’animaux de rente. La promotion des produits régionaux est aussi un thème prioritaire du Secrétariat d’État à l’économie (SECO), en collaboration avec les cantons, dans le cadre de la Nouvelle politique régionale (NPR) et par le biais du programme de promotion touristique Innotour. Enfin, la Confédération vise aussi à renforcer les produits régionaux avec le label «produits» de la politique des parcs ainsi qu’avec différents projets-modèles pour un développement territorial durable. Étant donné que la création de valeur ajoutée régionale est au centre d’un bon nombre de ces programmes, les cantons cofinancent un grand nombre de ces projets à titre subsidiaire.

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Projet à long terme de «marque faîtière régionale»

Depuis leur lancement, plus de mille projets ont pu bénéficier des programmes de soutien: environ 600 projets RPGAA, 200 projets NPR, plus de 100 projets PDR et OQuaDu ainsi que quelques projets Innotour et quelques projets-modèles pour un développement territorial durable. Les chiffres ne révèlent certes pas grand-chose de la qualité et de l’importance des différents projets, mais un projet soutenu par des fonds publics est dans de nombreux cas décisif pour le succès ultérieur. C’est par exemple le cas de la création d’un label régional pour le Grand Entremont en Valais: ce PDR comprend non seulement des mesures de marketing, mais aussi des investissements dans la production et la transformation de lait, de viande, de fines herbes et de miel. La gamme traditionnelle des produits de l’économie laitière régionale, avec le fromage à raclette Valais AOP, est développée et complétée par de nouvelles offres agrotouristiques. La Confédération à elle seule participe à raison de 5 millions de francs à ce projet dont la durée prévue est de six ans et le budget de 12,5 millions.

Des PDR similaires sont en cours dans d’autres régions de montagne – dans la région Loèche-Rarogne, dans le Parc naturel Beverin, dans la réserve de biosphère UNESCO de l’Entlebuch ou dans le val Poschiavo. Le point commun à tous ces PDR est une stratégie globale mise en œuvre par le biais d’un ensemble de mesures. De plus en plus souvent, celles-ci tiennent également compte de critères écologiques, comme c’est le cas du PDR «100% bio» mené dans le val Poschiavo.

Caractéristiques de l’OQuaDu et de la NPR

De temps en temps, les contenus des différents programmes de soutien peut se chevaucher. Chaque ensemble d’instruments a néanmoins son caractère unique. L’OQuaDu par exemple vise de meilleures normes de production et de qualité. Les projets correspondants sont soutenus à tous les niveaux de la chaîne concernée de création de valeur ajoutée. Certaines conditions à remplir sont d’avoir un caractère exemplaire pour toute la branche, d’améliorer les opportunités commerciales pour l’agriculture et les branches situées en aval et d’accroître la création de valeur ajoutée agricole dans la région. De nombreux produits innovants du secteur agroalimentaire doivent leur (re)naissance à l’aide initiale venant de l’OQuaDu, par exemple: soja bio, lait bio de pâturages, produits aux orties, viande de poules suisses, quinoa, truffe ou baies sauvages. Il y a en outre des projets OQuaDu axés sur les infrastructures ou la diffusion de technologies durables, par exemple l’usage de rayons UV-C pour lutter contre les champignons dans les vignes et les cultures de petits fruits.

La NPR se concentre surtout sur des mesures préconcurrentielles qui génèrent de la valeur ajoutée dans une région. Les projets phares sont les projets de mise en réseau d’acteurs, le plus souvent mis en œuvre dans le cadre d’une stratégie globale, par exemple la «Promotion des produits régionaux de l’Oberland bernois» (début du projet en 2017) ou la «Chaîne de création de valeur ajoutée des produits régionaux natürli» (2020, ZH et TG). La plateforme «food & nutrition» est également issue d’un projet NPR. Elle met en réseau toutes les personnes du canton de Fribourg qui s’intéressent à la production et à la transformation d’aliments durables. L’association responsable a aussi pour but de mettre en œuvre la stratégie alimentaire circulaire que le canton a adoptée en 2021.

Subventions pour la transformation et la commercialisation

Les programmes de soutien se concentrent sur l’agriculture, avec les domaines situés en aval. Les besoins d’investissement paraissent particulièrement importants dans le domaine de la transformation. C’est ce que révèlent des projets comme la construction des abattoirs régionaux de Klosters-Serneus ou la nouvelle installation de production de sérac de Glarner Milch AG. Cette dernière installation, un projet à 10 millions de francs achevé en 2017, comprend notamment une cave d’affinage et une fromagerie de démonstration. La Confédération a soutenu ce projet dans le cadre d’un PDR à raison de 2,17 millions de francs.

Un thème fréquent de nombreux projets est la commercialisation. Ils concernent aussi bien de nouveaux canaux numériques de promotion et de commercialisation que de la relance de canaux traditionnels. Le projet NPR «Konzept Hofladen Willisau» a été lancé en 2022. Le projet OQuaDu «Alpomat – le plus petit magasin de ferme de la ville de Zurich» a démarré en 2017. La Poste promeut aussi les canaux de distribution régionaux – numériquement et physiquement: la plateforme «Local only» permet aux productrices et aux producteurs de vendre leurs produits régionaux en ligne. La Poste prend en charge la logistique – sans courses supplémentaires puisqu’elle apporte la marchandise commandée à la porte des clients avec le courrier normal.

Presque tout serait possible avec le bois

Un fort potentiel régional sommeille dans la chaîne de création de valeur ajoutée du bois. Au cours des dernières années, plusieurs cantons ont lancé leurs propres programmes de promotion, à l’instigation notamment de la NPR et du plan d’action bois de la Confédération. Celui-ci soutient depuis 2009 des projets qui traitent de cette matière première et de sa valorisation. Un des résultats actuels de ces efforts est la Communauté d’intérêts Truberwald, fondée par des propriétaires forestiers, des agriculteurs, des forestiers-bûcherons, des charpentiers et des menuisiers, qui ont réalisé un projet phare en 2022 avec la salle de gymnastique de Trub (BE). Cette construction est fabriquée exclusivement en bois de la forêt de Trub. «Chaque baguette, chaque lambourde, même le plafond acoustique: tout est en bois régional», confie Samuel Zaugg, forestier-bûcheron et cofondateur de la CI Truberwald. Celle-ci a joué le rôle de plaque tournante de l’approvisionnement en bois. Les expériences issues de la construction de la salle de gymnastique sont maintenant intégrées dans le modèle commercial proprement dit de la CI, qui consiste à communiquer aux maîtres d’ouvrage intéressés toutes les informations logistiques et organisationnelles sur la construction avec du bois régional ou avec leur propre bois. Le véritable défi consiste à amener les consommatrices et les consommateurs à exiger systématiquement du bois suisse, souligne Samuel Zaugg, car « avec du bois, presque tout est possible aujourd’hui dans la construction ».

Le potentiel de coopération régionale entre l’agriculture et le tourisme est aussi resté longtemps inexploité. Mais pas mal de choses se sont mises en mouvement au cours des dernières années. Le programme «Genuss aus Stadt und Land» est un PDR stratégique qui a pour but, depuis 2017, de développer dans l’agglomération de Bâle de nouvelles formes de production régionale et de coopération entre agriculture, restauration, hôtellerie et détaillants. Dans la région Bienne-Seeland, un projet NPR, lancé en 2020 avec Morat Tourisme comme partenaire, allie «expériences touristiques et gastronomie régionale». L’OFAG et le SECO ont décerné pour la première fois fin 2022 le prix «Cercle régional» à la région du Jura pour ses efforts visant à mettre en place des chaînes régionales de création de valeur ajoutée à l’aide de fonds des politiques agricole, régionale et touristique.

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Il ne faut pas oublier non plus le partenariat en cours depuis environ dix ans entre le Réseau des parcs suisses et Coop. La combinaison de tourisme doux, de nature et d’agriculture extensive est bien accueillie par les consommatrices et les consommateurs. Dans ses différentes régions de vente, Coop écoule chaque année davantage de spécialités des parcs régionaux.

Regard vers l’avenir

Si on veut que le boom des produits régionaux se poursuive, des efforts supplémentaires sont nécessaires à tous les niveaux de la chaîne de création de valeur ajoutée. «Il est également clair que, pour les clientes et les clients, l’achat de produits régionaux au magasin doit devenir encore plus simple à l’avenir», Stephan Feige en est convaincu. Il y voit une marge de manœuvre considérable surtout pour les petits commerces spécialisés.

Au-delà de la gamme de produits et d’offres, les critères de la durabilité sociale et écologique, de l’économie circulaire et de la biodiversité gagnent en principe de plus en plus d’importance. «Les consommatrices et les consommateurs ne regardent pas seulement l’origine régionale. Ils tiennent également beaucoup au bien-être animal, à la diversité des espèces et à l’environnement», selon Stephan Feige. Il est prévu que les programmes de soutien attachent eux aussi encore plus d’importance à ces aspects à l’avenir. C’est ainsi que la prochaine période de programmation, NPR 24+, intégrera par exemple davantage la durabilité et l’économie circulaire.

Le renforcement des circuits courts d’approvisionnement pour un système alimentaire résilient reste un élément important de l’orientation future de la politique agricole. Des systèmes alimentaires régionaux durables, de la production à la consommation, peuvent faire progresser durablement la sécurité alimentaire à long terme de la Suisse. En tant que «laboratoires de l’avenir», les régions peuvent jouer un rôle important pour un futur système alimentaire durable.

Qu’est-ce qui est vraiment régional?

La «région» n’est pas une notion clairement définie, ni politiquement ni géographiquement. Par conséquent, les détaillants essaient de positionner leurs produits régionaux respectifs sur le marché avec leurs propres labels et selon leurs propres critères. Diverses organisations s’efforcent d’éclaircir cette jungle des labels régionaux à l’aide de directives uniformes et de faciliter l’orientation des consommatrices et des consommateurs.

Pirmin Schilliger Luzern

L’Association suisse des AOP-IGP défend les intérêts de toutes les organisations professionnelles qui commercialisent des produits régionaux sous ces labels. La différence entre les deux : pour les spécialités AOP, tout – de la matière première au produit fini en passant par la transformation – doit provenir de la région d’origine définie ; en revanche, il suffit que les spécialités IGP aient été soit produites, soit transformées, soit affinées dans la région d’origine. La liste officielle de la Suisse comprend actuellement 25 produits AOP et 16 spécialités IGP, dont de nombreuses variétés de fromages, des spécialités de saucisses et quelques eaux-de-vie de fruits, mais aussi le pain de seigle valaisan ou la tourte au kirsch de Zoug. La Suisse est affiliée au système AOP-IGP européen dans le cadre de l’accord bilatéral sur l’agriculture conclu avec l’UE. La liste de quelques centaines de produits protégés reconnus par les deux parties est régulièrement actualisée. Les tout derniers produits enregistrés pour le label de qualité AOP sont le boutefas (saucisse de porc) et le «jambon de la Borne» des cantons de Vaud et de Fribourg ainsi que l’huile de noix vaudoise. L’organe responsable de l’admission en Suisse est l’Office fédéral de l’agriculture (OFAG), qui coordonne aussi le registre avec l’UE.

ProSpecieRara: une pionnière

La Fondation ProSpecieRara (PSR), qui célèbre justement son 40e anniversaire, fait partie des véritables pionnières régionales de Suisse. Son principal mérite est d’avoir permis de sauver de la disparition 38 races rares suisses d’animaux de rente – de la poule appenzelloise huppée à la chèvre bottée – et environ 4800 variétés de plantes utiles et ornementales. PSR collabore avec un grand nombre d’agricultrices et d’agriculteurs, avec l’OFAG, la Haute école zurichoise de sciences appliquées, Wädenswil (ZHAW), des organisations d’utilité publique et le commerce de détail. PSR fait en outre office d’interface avec la SAVE Foundation, qui s’engage en faveur de la préservation de la biodiversité à l’échelle européenne.

La chaîne de création de valeur ajoutée «viande de cabri bio Pro Montagna» est un exemple d’utilisation commerciale réussie de «essources zoogénétiques animales». Ses participants sont des paysans de montagne grisons, la Fédération suisse d’élevage caprin, la boucherie Zanetti de Poschiavo (GR) et Coop. Un autre projet de PSR avec Coop comme partenaire porte le nom de «Simmentaler Original». Résultat de la coopération avec PSR: plus de cent variétés traditionnelles de plantes cultivées menacées de disparition se trouvent dans les rayons de Coop, par exemple une variété de panais, un légume très répandu en Europe centrale. La plateforme tomates-urbaines permet également aux jardinières amatrices et aux jardiniers amateurs d’acheter chez Coop des graines de tomates, de piments et de salades rares et de les faire pousser sur leur propre balcon.

Efforts de coordination

Les principaux membres de l’Association suisse des produits régionaux (ASPR), créée en 2015, sont les quatre organisations de commercialisation alpinavera (avec des produits régionaux des cantons des GR, d’UR, de GL et du TI), Culinarium (Suisse orientale), Les délices de la région (Suisse centrale et du Nord-Ouest, JU, BE, SO) et regio.garantie Romandie (Suisse romande et Jura bernois). En qualité d’organisation faîtière, l’ASPR représente plus de 18 500 produits régionaux de toute la Suisse qui portent le label regio.garantie. L’ASPR se concentre sur des standards de qualité uniformes définis selon des directives claires et assure une mise en œuvre impeccable. Suivant ces règles, au moins deux tiers de la création de valeur ajoutée ainsi que les étapes de production et de transformation qui déterminent les caractéristiques du produit doivent notamment avoir lieu dans la région concernée.

Malgré tous les efforts de coordination de l’ASPR, il existe toujours plusieurs labels qui caractérisent la régionalité: Migros le fait avec sa propre étiquette régionale, qui mentionne souvent aussi le nom de la productrice ou du producteur ; Coop en revanche n’appose généralement son label régional que sur les rayons, tout en affirmant que «tous les ingrédients agricoles régionaux et tous les produits doivent être traçables jusqu’au lieu d’origine».

Selon l’étude Produits régionaux 2022 de la Haute école d’économie de Zurich (HWZ), les consommatrices et consommateurs souhaitent en tout cas savoir de quelle région proviennent les matières premières, où elles sont transformées et quel trajet elles ont parcouru. «Or tout cela n’est de loin pas toujours clair avec les labels actuels», constate Stephan Feige, coauteur de l’étude. Dans la pratique, les détaillants définissent à leur guise des critères importants, tels que le périmètre régional. Ils espèrent la confiance de leurs clientes et clients, non sans raison. «Si l’emballage porte la mention ‹ régional ›, la clientèle s’y fie en général», estime Stephan Feige. Personne ne souhaite en outre devoir se débattre devant les rayons avec des directives de plusieurs pages sur chaque label.

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Clarifications nécessaires

Conclusion: Le dénominateur commun des marques régionales se limite au fait que la marchandise à vendre peut-être associée à une région donnée. Mais les prescriptions et les critères plus précis selon lesquels se fait cette attribution diffèrent d’un label à l’autre. La définition de la région elle-même reste extensible: c’est ainsi que le règlement Coop de «Ma région» complique sa formulation: «Une région est un territoire géographiquement défini, de dimension moyenne, c’est-à-dire entre le niveau local ou communal et le niveau national, considéré comme homogène et que l’on peut donc différencier d’autres territoires en fonction de caractéristiques données.» Caspar Frey, le porte-parole de Coop, essaie de montrer clairement que Coop suit les directives de l’ASPR en ce qui concerne la création de valeur ajoutée et les étapes de production et de transformation. Cette remarque est aussi valable pour Migros, bien que ces dispositions «limitent parfois beaucoup la disponibilité des produits régionaux au quotidien», selon sa porte-parole Carmen Hefti.

Stephan Feige explique: «Il y a la notion «régional», synonyme de «qui est d’ici»: dans ce cas, le consommateur veut aller chez le producteur du coin. Mais il existe également des produits régionaux comme le saucisson vaudois ou les Läckerlis de Bâle qui sont perçus comme des spécialités régionales célèbres non seulement sur place, mais aussi dans tout le reste de la Suisse.» Une définition standard de la régionalité sous un label unique ne tiendrait guère compte de ce genre de différences et du caractère des divers produits, fait encore remarquer Stephan Feige. Il serait donc peu judicieux, pour des produits transformés tels que le vin, le fromage à pâte dure, les biscuits ou une saucisse fumée connue bien au-delà de sa région d’origine, d’appliquer les mêmes critères régionaux que pour des légumes frais ou des œufs des environs immédiats.

Il n’est pas étonnant que l’on n’ait pas réussi à ce jour à éliminer ce dilemme de définition, bien qu’il désoriente passablement les consommatrices et les consommateurs. «Tout le monde doit être prêt à se conformer à un ensemble de règles nationales et uniformes», souligne Gabi Dörig-Eschler, directrice de l’ASPR, en ajoutant que «la crédibilité de notre réglementation est la base essentielle du succès».

Les produits régionaux: une niche robuste qui a encore un potentiel de croissance

Pirmin Schilliger & Urs Steiger

Qu’y a­t­il derrière le succès des produits régionaux? Quelles sont leurs perspectives d’avenir? Ces deux questions et bien d’autres ont été discutées lors de la table ronde de «regioS» par une experte et deux experts: Eliane Kern, responsable de la communication et des événements de «Feld zu Tisch», une plateforme B2B de commercialisation de produits régionaux dans la région de Bâle; Peter Sta­ delmann, responsable des produits régionaux de la réserve de biosphère unesco de l’Entlebuch; et Urs Bolliger, directeur et responsable des marchés de Culinarium, association responsable de la marque «regio.garantie» en Suisse orientale.

Les taux de croissance élevés des produits régionaux au cours des dix dernières années témoignent d’une success story impressionnante. Quelle est la contribution des canaux de soutien de la Confédération à ce succès: Nouvelle politique régionale (NPR), projets de développement régional (PDR), politique agricole ou promotion touristique d’Innotour?

Urs Bolliger: Les marques affiliées à l’Association suisse des produits régio­ naux (ASPR), y compris notre marque Culi­narium de Suisse orientale, bénéficient surtout du programme de promotion des ventes de l’Office fédéral de l’agriculture (OFAG), en cours depuis 2001. Les projets de ce programme mettent l’accent sur des mesures de marketing et de communica­ tion. Entre 30 et 50% des fonds qui y sont investis proviennent de la Confédération.

Eliane Kern: Le soutien de l’OFAG au projet de développement régional (PDR) «Genuss aus Stadt und Land» est aussi déterminant pour la mise sur pied de «Feld zu Tisch».

Peter Stadelmann: La réserve de biosphère de l’Entlebuch fait d’abord partie de la politique des parcs, laquelle relève de la compétence de l’Office fédé­ ral de l’environnement (OFEV). Celui­ci n’aide certes pas les parcs à développer des produits, mais nous bénéficions aussi d’aides fédérales, par le biais des canaux de soutien de l’ofAG précités. Le soutien d’un PDR pour monter la plate­ forme de commercialisation Biosphäre Markt AG destinée à la région est particulièrement important. Sans l’aide éta­ tique, il n’aurait guère été possible de mettre cette organisation sur pied et de la positionner sur le marché.

Peter Stadelmann © regiosuisse

Quel est à ce jour votre plus grand succès régional?

Eliane Kern: Au cours des deux dernières années, nous avons réussi à construire un réseau dans la région de Bâle, notamment avec un format que nous appelons «speed dating» pour la vente directe régionale. Avec ce format, des productrices et des producteurs ainsi que des acheteuses et des acheteurs se rencontrent et font connaissance, de sorte que les relations commerciales directes s’établissent presque automatiquement. C’est à cette occasion par exemple que le magasin Lokal de Bâle, qui fait le com­ merce de produits régionaux, rencontre une productrice de tempeh de Liestal ou un producteur de pois chiches de Wens­ lingen, pour ne citer que deux exemples des nombreuses relations commerciales directes. Les tables rondes que nous orga­ nisons régulièrement pour perfectionner nos idées et nos outils rencontrent aussi un vif intérêt. En dialoguant avec les pro­ ducteurs et les acheteurs, nous prenons connaissance de leurs besoins immédiats, par exemple en matière d’exigences tech­ niques, et pouvons ensuite cibler d’autant mieux notre action.

Peter Stadelmann: Du point de vue de la réserve de biosphère de l’Entlebuch, la création de Markt AG constitue l’étape la plus importante des dernières années. Pour les producteurs régionaux, cette organisation est devenue un sésame déci­ sif pour faire affaire avec les grands distri­ buteurs. Un service centralisé est essentiel pour générer des ventes dans ce domaine. En fin de compte, les grands distributeurs ne souhaitent pas devoir négocier indivi­ duellement avec chaque fromager et chaque boucher. Le seuil d’accès à la col­ laboration s’abaisse nettement lorsqu’il y a un seul interlocuteur pour toute la région. À côté de ce succès plutôt organi­ sationnel, plusieurs autres réussites liées à un produit me viennent à l’esprit. Je pense par exemple au pur épeautre, que nous avons commencé à cultiver il y a 14 ans à l’initiative d’un transformateur. Depuis lors, cette culture est florissante dans la région, surtout parce que tous les ache­ teurs – donc le meunier, le boulanger, le fabricant de pâtes – et les consomma­ trices et consommateurs finaux sont prêts à payer le supplément que nécessitent tout simplement les coûts de production plus élevés à notre altitude.

Urs Bolliger: L’élément central et décisif de notre success story est la colla­ boration avec Migros, qui a lancé le pro­ gramme « De la région, pour la région» il y a déjà des années. Nous collaborons avec Migros Suisse orientale depuis 2003, tout comme les membres de notre organisa­ tion faîtière collaborent, au sein de l’Asso­ ciation suisse des produits régionaux (AsPR), avec les autres coopératives Migros de toute la Suisse. Je considère comme une étape très importante le fait que Migros ait défini la régionalité avec nous et que les directives soient respectées par tous les participants. Quand on regarde les statistiques des chiffres d’affaires, Migros est définitivement le véritable moteur des ventes avec son programme « De la région, pour la région».

Urs Bolliger © regiosuisse

Malgré tous les succès, vous avez aussi dû apprendre certaines choses à vos dépens. Dans quel domaine par exemple?

Urs Bolliger: La collaboration avec la restauration est plus difficile qu’avec le commerce de détail. La restauration a vraiment été bouleversée par toute l’his­ toire du coronavirus. Elle est en outre soumise depuis longtemps à une vio­ lente pression sur les prix, de sorte que nous nous creusons la tête sur la manière dont nous pourrions collaborer avec des charges acceptables. On trouve certes des restaurants qui travaillent beaucoup avec les produits régionaux depuis assez longtemps. Mais il y a mal­ heureusement un grand nombre d’éta­ blissements qui essaient de donner l’im­ pression par le biais de leur carte qu’ils misent un peu sur les produits régionaux. Si on y regarde de plus près, la plupart des offres sont tout sauf régionales.

Eliane Kern: La question de savoir comment nous pourrions mieux colla­ borer avec la restauration nous occupe aussi dans la région de Bâle. En outre, nous avons dû beaucoup apprendre à nos dépens lors du développement du logiciel pour notre plateforme B2B. Nous imaginions que ce serait plus simple et espérions pouvoir recourir à une solu­ tion existante. Nous nous retrouvons maintenant à devoir promouvoir un développement interne au niveau natio­ nal, donc une solution open source qui puisse également être utilisée par des porteurs de projets analogues. La dura­bilité et les coûts relativement élevés de la micrologistique alimentaire nous donnent aussi du fil à retordre.

Monsieur Stadelmann, où se si- tuent les obstacles dans l’Entlebuch?

Peter Stadelmann: Pour que la création de Markt AG ne devienne pas un obstacle, il a fallu de nombreux entre­ tiens et beaucoup de tact. Nous avons par exemple dû gagner à notre cause les fro­ mageries, qui avaient jusque­là agi en toute autonomie et créé leur propre petite marque. Cela signifiait que chaque fromagerie devait confier une grande part de la responsabilité com­ merciale à la nouvelle organisation, Markt AG, qui a ensuite repris la coordi­ nation et la vente. Ce changement est un processus long et difficile lors duquel tout ne fonctionne pas sans accroc. Notre présence commune signifie que l’entreprise individuelle doit mettre sa propre marque de côté et qu’elle doit soudain collaborer en matière de com­ mercialisation avec des entreprises qu’elle percevait jusqu’alors surtout comme des concurrentes.

Le fonctionnement avec la restauration est-il meilleur dans l’Entlebuch que par exemple en Suisse orientale ou à Bâle?

Peter Stadelmann: Non, travailler avec la restauration est aussi très pénible dans l’Entlebuch. La guerre des prix est violente et les nombreux petits producteurs de notre région ne par­ viennent pas toujours à couvrir la demande, par exemple lors de grands banquets. La disposition des restaura­ teurs et des clients à utiliser l’animal entier au lieu de ne manger que des steaks et des escalopes est en outre limi­ tée. Il faut en général une révision des conceptions pour qu’un bas morceau régional se retrouve parfois à la carte.

Eliane Kern: La sensibilité aux prix est effectivement déterminante dans la restauration pour décider où on achète en fin de compte les denrées ali­ mentaires. À cela s’ajoutent des critères comme la praticité et l’efficience du marché. Quels sont les cycles de livrai­ son? Quelle durée s’écoule entre la com­ mande et la livraison? Quelle est la dis­ ponibilité de l’offre? Avec quelle fiabilité et quelle efficience la chaîne d’approvi­ sionnement fonctionne­t­elle? Nous pouvons certes garantir pas mal de choses sur notre marché B2B, mais nous devons concéder que certains défis sont plus faciles à relever par un commerce plus grand que par une micrologistique.

Eliane Kern © regiosuisse

Existe-t-il des solutions judi- cieuses pour ces cas?

Urs Bolliger: On ne doit pas perdre de vue les relations. Les produits régionaux font certes l’objet d’un matra­ quage médiatique, mais les clients qui les demandent explicitement au restau­ rant restent une minorité. Nous parlons d’une part de marché totale des produits régionaux située entre 5 et 10 % sur l’en­ semble des canaux de vente. J’ai déjà observé plusieurs fois un phénomène sem­ blable avec le bio. Quand on demande au consommateur moyen: «Quelle est à votre avis la part du bio dans les ventes?», la réponse est «certainement 50% ». En réalité, la part de marché des produits bios se situe entre 15 et 18%. La percep­ tion du consommateur ne correspond pas à sa consommation effective. Je le remarque surtout lorsque je discute avec des boucheries qui ont aussi un service traiteur. Il semble certes souhai­ table d’avoir des produits régionaux dans cette offre, mais pratiquement per­ sonne n’est prêt à réclamer explicite­ ment la régionalité. Nous devons nous rendre compte que nous occupons une niche avec la régionalité. La solution devrait consister à se concentrer sur cette niche et à essayer d’y travailler avec succès à l’aide de concepts fiables. Mais nous ne pouvons pas nous attendre à ce que les arbres poussent jusqu’au ciel.

Les produits régionaux n’ont-ils donc que peu de chances sur le marché de masse?

Urs Bolliger: La bonne collabora­ tion avec Migros montre que nous pou­ vons tout à fait marquer des points dans le commerce de détail, tant en qualité qu’en quantité. Nous parlons ici d’un chiffre d’affaires d’environ un milliard de francs que Migros réalise mainte­ nant chaque année par le canal «De la région, pour la région». Or nous colla­ borons également avec d’autres détail­ lants. Le dernier exemple est Aldi Suisse avec la marque «Saveurs suisses». Nous sommes actuellement en pourparlers avec d’autres détaillants, et des possibi­ lités de vente supplémentaires se des­ sinent dans d’autres domaines. C’est ainsi que les cff ont remis au concours cette année l’exploitation de leurs quelque 4000 automates, à condition qu’au moins 10% des articles soient des produits régionaux. Le résultat est qu’un grand exploitant d’automates qui a reçu l’adjudication des cff pour les pro­chaines années nous a contactés. Il existe donc de nouveaux canaux de vente par lesquels encore davantage d’authenticité régionale peut parvenir au consommateur.

Madame Kern, comment évaluez- vous les possibilités de conquérir un marché plus large?

Eliane Kern: Nous cherchons actuellement le contact très ciblé avec la restauration collective. Réussir à accroître les ventes au niveau souhaité dans ce segment dépend toutefois de l’extension de notre infrastructure de production. On demande dans ce cas des produits préparés et donc plus commodes. Nous procédons à une mise en œuvre pro­ gressive et essayons de découvrir au moyen d’analyses de marché ce qui peut vraiment fonctionner.

Comment la réserve de biosphère de l’Entlebuch se positionne-t-elle sur ce marché plus large?

Peter Stadelmann: Si nous avions la recette pour conquérir le marché de masse avec les produits régionaux, je ne la dévoilerais pas. En fin de compte, notre travail consiste à ramer constam­ ment avec de petits projets. Le canton de Lucerne, centré jusqu’à présent sur l’élevage, lance depuis peu une cam­ pagne en faveur du bio et une offensive pour les cultures spéciales. Nous cher­ chons actuellement la collaboration dans ce domaine, tout en ayant conscience qu’il y règne une concur­ rence acharnée. De mon point de vue, il est essentiel d’essayer de placer au bon endroit sur le marché les produits parti­ culiers qu’une région peut proposer. L’Entlebuch est constitué d’herbages en zone de montagne 1 ou plus haute: nous sommes soumis à de fortes limitations en termes de diversité et de productivité. Il me semble d’autant plus important de penser à accroître encore la qualité plutôt que la quantité. Nous devons nous dé­ marquer avec nos produits régionaux de façon à être uniques à tous égards.

Les consommatrices et les consom- mateurs s’imaginent que «régional» est synonyme de circuits courts, de durabi- lité, de produits sains et souvent encore bios. Les productrices et les producteurs peuvent-ils répondre à ces attentes?

Urs Bolliger: Selon des sondages, les consommatrices et les consomma­ teurs n’attendent pas forcément du pro­ duit régional qu’il soit aussi «bio». C’est néanmoins un fait que le consomma­ teur voit parfois dans les produits régio­ naux des arguments positifs qui n’y sont pas. Les produits régionaux jouissent en principe d’une confiance très élevée, ce qui nous oblige au plus grand soin. Les prestations écologiques requises (PER), telles qu’elles sont stipulées en détail dans les directives sur les marques régionales, sont déterminantes pour les critères de qualité de tous les produits regio.garantie.

Eliane Kern: Nous constatons que certains produits régionaux sont expé­ diés à l’échelle nationale. Cela ne signi­ fie pas forcément que ces produits sont moins durables, car d’autres critères, tels que réfrigération, pèsent beaucoup plus lourd dans un bilan CO2 que les kilomètres parcourus. Nous travaillons néanmoins à nous améliorer dans tous les domaines de la durabilité. Cet aspect est et reste un défi important qui requiert un changement de système, lequel ne se produira pas simplement d’un jour à l’autre.

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AlpFoodway

Le numéro 15 de «regioS» avait parlé du projet AlpFoodway, qui se consacre depuis 2016 au patrimoine alimentaire  alpin de six pays. Le but de ce projet est de créer une base pour que ce patrimoine soit intégré au patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO.

Les parcs suisses dans l’assiette

Patricia Michaud

En terre helvétique, les déten-trices du label «Parc» – soit une vingtaine de régions situées principalement dans les Alpes, les Préalpes et l’Arc jurassien – peuvent apposer à leur tour un label, baptisé «Produits», sur leurs biens et services. En tout, on compte actuellement environ 2600 produits labellisés sur l’ensemble du réseau des parcs suisses.

Alors qu’en vertu des directives éditées en 2013 par l’Office fédéral de l’environnement sur les conditions d’attribution et d’utilisation du label, ce dernier pourrait aussi concerner des services, seules des denrées alimentaires arborent pour l’instant le précieux logo. Il s’agit principalement de produits de montagne, préparés en petites quantités de façon artisanale. On peut citerle fromage, la viande séchée, les vins, les thés, les herbes ou encore quelques produits de niche tels que le safran.

© regiosuisse
© regiosuisse

Pour obtenir le droit d’afficher fièrement la couleur verte, les produits doivent remplir une série de critères. La conformité à ces exigences est vérifiée lors d’un processus de certification établi par la Confédération. Un bien doit être essentiellement fabriqué ou fourni sur le territoire du parc en question, suivre un processus de fabrication répondant aux objectifs du parc et satisfaire aux directives de l’Association suisse des produits régionaux. Pour résumer, ce label doit offrir aux consommateurs et consommatrices la garantie de produits régionaux et durables. Selon les dernières estimations, le chiffre d’affaires annuel correspondant est d’environ 30 millions de francs. Une partie de ces recettes passe par de gros détail- lants tels que Coop. Mais pour la plupart des petits producteurs, le label n’est pas tant un moyen d’étoffer leurs recettes que de mettre en avant la qualité de leurs produits et d’agir concrètement pour défendre les valeurs régionales et durables.

parks.swiss

Vous trouverez ici la version complète en allemand.

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Verzasca 2030

Le  numéro  17 de «regioS» (décembre 2019) avait parlé du master plan «Verzasca 2030» (Tessin), élaboré dans le cadre d’un processus participatif.

Les premiers projets sont réalisés

La mise en œuvre des projets inscrits dans le cadre du master plan «Verzasca 2030» se déroule depuis 2019 dans la vallée. Non seulement le projet de mini-bus, mais aussi celui de l’«Albergo diffuso» a été réalisé. L’hôtel décentralisé de Corippo a ouvert ses portes en mai 2022. Il comprend une réception centrale et 25 lits répartis entre cinq maisons historiques, restaurées au centre du village. Le projet « Vera Verzasca » soutient en outre la distribution de produits alimentaires et artisanaux locaux. Le début de la construction du camping alpin de Brione est soixante emplacements, disposera d’une zone bien-être et de pavillons pour les clients plus exigeants. Pour le grand projet de centre sportif multifonctionnel de Sonogno, l’élaboration du business plan est en cours et le début des travaux de construction est prévu en 2024.

Un trait d’union entre la terre et les start-up

Patricia Michaud

Prolongement d’un projet pilote soutenu par le SECO, Star’Terre est une structure qui met en lien les milieux agricoles et entrepreneuriaux des cantons de Vaud, de Genève, de Fribourg et du Valais. Avec un focus sur la consommation locale, les circuits courts et le retour de valeur ajoutée pour la région.

C’est l’histoire – aussi banale que fictive – d’une famille vivant dans un appartement du centre de Nyon (VD). En grandissant, les enfants manifestent un intérêt de plus en plus prononcé pour la terre et pour la nourriture. L’étroit balcon du domicile familial, déjà encombré par une table et une mini-déchetterie, ne permet pas d’accueillir des bacs propices à la culture de légumes. Il reste à peine la place d’y entreposer quelques pots d’herbes aromatiques. Tous les dimanches, la petite troupe met donc le cap sur la parcelle qui lui est allouée dans le jardin participatif local Au-Potager. Parents et enfants s’adonnent aux joies de l’arrosage, du désherbage et – plaisir suprême – de la récolte, tout en bénéficiant de conseils professionnels.

© regiosuisse

Offrir une opportunité de pratiquer l’agriculture contractuelle, en tant que nouvelle voie de consommation alimentaire: c’est le but affiché par l’association  Au-Potager, qui compte déjà trois antennes dans le canton de Vaud. Cette structure, qui propose par ailleurs des services visant à multiplier cet type de jardins en Suisse romande, fait partie des quatre projets qui ont décroché en 2022 un accompagnement Star’Terre. Les autres lauréats sont Local Impact (élaboration de la plateforme digitale fribourgeoise «Cuisinons notre région»), L’Ortie (projet de maraîchage en gouvernance partagée sur sol vivant dans le canton de Genève) et Lupi Food (développement dans le canton de Vaud d’une nouvelle filière de protéines végétales liée au lupin suisse).

Dans le cadre de cet accompagnement qui s’étend sur trois ans et représente environ 12 000 francs par projet, les quatre structures bénéficient d’expertises thématiques dispensées par des professionnels (par exemple en ce qui concerne la chaîne de valeur, les aspects juridiques, l’éco-conception ou encore la stratégie économique). Ils ont par ailleurs accès à une base d’informations ainsi qu’à des outils spécifiques, et peuvent s’appuyer sur le solide réseau d’acteurs des écosystèmes à l’interface desquels Star’Terre se positionne activement: écosystèmes agricole, entrepreneurial, de l’innovation et académique.

Promouvoir la consommation locale

Le nom Star’Terre en dit long sur la nature et les objectifs de cette entité, qui se veut – entre autres – un trait d’union entre le monde des start-up et celui de la terre. «Notre but est de rapprocher les milieux agricoles, alimentaires, de l’innovation et de l’entrepreneuriat autour d’une thématique centrale, celle de la consommation locale», explique Magali Estève, membre de l’équipe de coordination. Par «locale», on entend ici une région qualifiée de «métropole lémanique» et recoupant les cantons de Vaud, de Genève, de Fribourg et du Valais, où Star’Terre est active.

Star’Terre est une structure très jeune, puisqu’elle n’existe sous sa forme actuelle que depuis mars 2020. Mais il s’agit en fait d’un prolongement du projet intercantonal «Consommation locale dans la métropole lémanique» réalisé dans le cadre du «Programme pilote territoire d’action Économie» développé par le SECO. Ce programme national, qui comportait six projets au total, s’est déroulé sur trois ans, entre 2017 et 2019. Suite à cette expérience, les acteurs impliqués dans l’aventure «Consommation locale dans la métropole lémanique» ont décidé de pérenniser la structure, ce pour deux raisons. Premièrement, parce qu’elle apportait des éléments de réponses à plusieurs lacunes (notamment le manque d’aides spécifiques aux projets situés à l’interface entre entrepreneuriat agricole et non agricole, ainsi que le manque de synergies entre les divers programmes de soutien existants). Deuxièmement, parce qu’elle permettait de mettre en valeur le potentiel de la métropole lémanique.

«Star’Terre vise un vrai changement de modèle», souligne Magali Estève. «Nous appuyons les acteurs locaux dans leur volonté d’innover, de partager et de mieux valoriser les savoir-faire agricoles et alimentaires.» Le tout dans une optique de «retour de la valeur ajoutée aux producteurs et à la région». Initiative intercantonale dès ses débuts, Star’Terre est portée par les services de l’agriculture des quatre cantons impliqués, ainsi que par l’Association suisse pour le développement de l’agriculture et de l’espace rural (AGRIDEA), à laquelle est rattachée Magali Estève.

© regiosuisse

Retour de valeur ajoutée

«Notre structure a été conçue comme un guichet qui propose des informations et des outils à tous les porteurs de projets en lien avec les thématiques se situant dans notre domaine de compétences, agriculteurs et entrepreneurs en tête», explique Magali Estève. Il suffit pour ce faire de prendre rendez-vous avec un membre du réseau Star’Terre, qui oriente vers les organismes compétents et les ressources adaptées. A noter que le soutien de la structure est payant pour les projets hors appel.

Au-delà de cette fonction de guichet, Star’Terre se veut aussi un lieu de mise en réseau (qu’il s’agisse de compétences ou de ressources), ainsi qu’une base de connaissances. «Nous éditons de la documentation, par exemple un guide pour lancer son épicerie participative.» Sans oublier la mise sur pied d’évènements. Un webinaire gratuit a ainsi présenté des outils d’innovation axés sur les circuits courts pour agriculteurs, start-up et PME. Lors d’un cycle de rencontres thématiques, les participants ont pu découvrir les avancées en matière de techniques de valorisation des coproduits et des déchets agricoles et alimentaires. «Nous constatons un intérêt de plus en plus marqué pour les notions d’analyse du cycle de vie, de circularité; c’est un pilier que nous allons encore renforcer.»

Reste que le cœur d’activité de Star’Terre demeure l’accompagnement de projets en phase de démarrage. «Il doit s’agir de projets qui ont moins de trois ans et qui ont trait à la production, la transformation, la distribution ou la valorisation», précise la responsable. Logiquement, les personnes qui déposent une demande de soutien doivent être actives dans la zone d’activité de Star’Terre. Par ailleurs, leur projet «doit d’une manière ou d’une autre contribuer à l’augmentation du volume de consommation de produits locaux et présenter un retour de valeur ajoutée pour l’agriculture locale». Enfin, les initiatives soumises au comité de sélection doivent être axées sur la nouveauté, avoir des chances de succès, «être facilement reproductibles dans un autre canton et potentiellement atteindre un marché dépassant les frontières de la métropole lémanique».

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Un modèle à exporter

Depuis le lancement de la structure pilote en 2017, 26 projets ont été accompagnés par Star’Terre. Parmi eux figure un des «Fruits de Martigny», une société anonyme active depuis plus de vingt ans dans la commercialisation de fruits et légumes valaisans. «Elle souhaitait innover en produisant une gamme de jus de fruits et de légumes aux valeurs nutritives préservées grâce à la pascalisation», un processus de pasteurisation à froid par haute pression, rapporte Georg Bregy, adjoint du chef du Service valaisan de l’agriculture et membre du comité de pilotage de Star’Terre. Ce projet, qui a obtenu un soutien en 2020, «constitue un bel exemple de l’apport de Star’Terre à l’économie régionale», poursuit-il. «Dans un canton alpin et touristique comme le Valais, utiliser l’innovation pour favoriser la consommation de la production locale est particulièrement intéressant.»

Autre canton, même son de cloche. Jean-Marc Sermet est le chef du secteur contributions et structures de l’Office genevois de l’agriculture et de la nature. Il est lui aussi membre du comité de pilotage de Star’Terre. «Avant, nous avions tendance à nous concentrer sur le terrain agricole; or, en allant au-delà, en trouvant des chemins innovants pour mettre en contact producteurs et consommateurs à travers des start-up, on génère une vraie plus-value pour l’agriculture et l’économie cantonales.» Il cite l’exemple de la Manufacture du Terroir, un projet genevois lauréat en 2021. «Il s’agit d’un atelier partagé de transformation de petits volumes de fruits et légumes, qui met à disposition des producteurs locaux l’infrastructure et les outils leur permettant de fabriquer jus, soupes, etc.»

Les deux responsables cantonaux saluent à l’unisson le fait que la vision de Star’Terre ne s’arrête pas au lopin de terre. «Ce n’est pas parce qu’on est dans le domaine agricole qu’on ne doit pas regarder au-delà de son champ, de sa commune, de son canton», commente Jean-Marc Sermet. «Durant la phase pilote de notre projet, nous avons constaté que la métropole lémanique représentait une vraie réalité en termes de flux de consommation», complète Magali Estève. «C’est un espace où les circuits longs et courts peuvent coexister, et même collaborer, harmonieusement.» Ce modèle suscite l’enthousiasme ailleurs en Suisse. Il ne serait dès lors pas surprenant que Star’Terre fasse des émules, y compris Outre-Sarine.

starterre.ch

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Deuxième printemps pour les cerises

Jana Avanzini

Bière à la cerise, saucisse à la cerise, tourte au kirsch de Zoug: les cerises de Zoug sont commercialisées avec une très belle habileté. En prime, les arbres sur lesquels mûrit leur récolte sont très beaux, surtout lorsqu’ils rayonnent de leurs fleurs blanches au printemps. La culture des cerises avait pourtant beaucoup perdu de son attractivité en Suisse centrale. Tant les connaissances que la tradition semblaient se perdre, tout comme les arbres à haute tige disparaissaient du paysage. Il semble maintenant que le cerisier refleurisse – grâce au projet de développement régional (PDR) «Zuger Rigi Chriesi».

Des cerisiers se dressaient probablement à Zoug 200 ans après J.-C. Autour du Rigi, on les cultivait déjà assidûment au XIVe siècle. Car non seulement les fruits, mais aussi le bois étaient des biens recherchés. En lien avec ces fruits de Suisse centrale, on connaît aujourd’hui surtout la tourte au kirsch de Zoug. Elle a été conçue en 1915 par le pâtissier Heinrich Höhn. Elle est devenue culte plus tard et a été inscrite en 2008 à l’inventaire du Patrimoine culinaire suisse. Mais le kirsch de la région du Rigi était déjà devenu un article d’exportation apprécié dès le milieu du XIXE siècle, avant son utilisation sous forme de dessert sucré. Il faut aussi mentionner le marché aux cerises de Zoug attesté pour la première fois en 1627 et le «Zuger Chriesisturm», un événement lors duquel les hommes et les enfants courent à travers la vieille ville de Zoug avec de longues échelles et les femmes avec des hottes.

Le sauvetage d’une tradition

L’année 1951 a constitué, en termes de quantité d’arbres, l’apogée de la culture des cerises dans le canton de Zoug. On comptait à ce moment-là 112 000 cerisiers dans la région Zoug-Rigi. Mais une forte régression a commencé peu après. Les changements dans l’agriculture et les bas prix des fruits ont fait que de nombreux paysans n’ont plus pu vendre leurs cerises et ont laissé les arbres à eux-mêmes. Les campagnes d’abattage menées par la Régie fédérale des alcools dans les années 1950 et les primes à l’arrachage versées jusque dans les années 1980 ont accéléré les changements structurels dans l’arboriculture. De plus en plus de terres ont aussi été réaffectées : les «montagnes à cerisiers» sont devenues des routes et des zones urbanisées.

Le creux de la vague a été atteint au tournant du millénaire avec quelque 44 000 arbres sur le territoire. Afin que les arbres à haute tige caractéristiques ne disparaissent pas complètement du paysage régional et que l’on puisse continuer à produire des articles traditionnels avec des fruits régionaux, il a fallu investir et recréer des conditions attractives pour que les paysannes et les paysans exploitent le sol de la façon voulue.

C’est sur ce point qu’intervient la Zuger Rigi Chriesi SA. C’est à son travail et donc principalement au projet de développement régional (PDR) «Zuger Rigi Chriesi» que l’on doit le deuxième printemps que les cerisiers vivent à Zoug et autour du Rigi. Le programme des pdr de l’Office fédéral de l’agriculture (OFAG) soutient la création de valeur ajoutée dans l’agriculture ainsi que la coopération régionale. En combinaison avec des objectifs économiques, il poursuit également des intérêts écologiques, sociaux ou culturels – et donc aussi paysagers.

© regiosuisse

Davantage d’arbres …

Toute la région bénéficie à plusieurs niveaux de la promotion de l’arbre à haute tige, souligne Michela D’Onofrio, directrice de la Zuger Rigi Chriesi SA: «Cette promotion revalorise le paysage, préserve la tradition et promeut la biodiversité et les perspectives agricoles.»

Plus de 2500 cerisiers à haute tige ont été plantés pendant la durée du projet de 2011 à 2018, dans le canton de Zoug ainsi que dans neuf communes schwyzoises et sept communes lucernoises – non seulement par la Zuger Rigi Chriesi SA, mais aussi par l’IG Zuger Chriesi, qui s’est également vouée à la relance de la culture des cerisiers, tout en se limitant au canton de Zoug. Planter ces arbres est toutefois ce qui demande le moins de travail, précise Michela D’Onofrio. Il est beaucoup plus exigeant et important de rendre cette culture attractive à long terme.

Car la culture seule n’y suffit pas. Le travail consiste surtout à développer, par un marketing professionnel, des canaux de vente pour de plus grandes quantités, dans le commerce de détail ou la restauration. Les cerises doivent être vendues chez les grands distributeurs et comme cerises industrielles, marchés dominés actuellement par des cerises d’autres pays, produites à moindre coût. Il s’agit également de promouvoir les échanges de connaissances au sein de réseaux régionaux et interrégionaux – au sujet des arbres, de leurs fruits, de leurs ravageurs ou encore de la transformation.

La SA qui est devenue le projet phare des PDR existe depuis dix ans. Après quatre ans, ce PDR a été prolongé de trois nouvelles années. Maintenant, il est officiellement terminé pour la Confédération, de même que son cofinancement par les pouvoirs publics. La Confédération a payé environ un million de francs sur les quatre millions que le projet a coûtés. Mais le travail continue. Michela D’Onofrio poursuit avec une collègue la commercialisation et le réseautage, financés par le chiffre d’affaires de leurs propres produits.

© regiosuisse

… beaucoup de travail

Dans le verger de Peter Meier à Rotkreuz, les arbres commencent déjà à fleurir mi-mars. Grâce à leur floraison précoce, ils fournissent aux abeilles une nourriture importante après l’hiver. Peter Meier s’avance d’un pas rapide entre les arbres à haute tige, en direction des plus de cent nouveaux arbres qu’il vient de planter. Ils produisent encore peu de fruits, mais feront bientôt concurrence aux vieux arbres qui étaient encore exploités par le père de Peter Meier.

En plus des veaux et des sapins de Noël, les quelque 450 cerisiers à haute tige sont maintenant un pilier principal de son travail à la ferme. Un travail beaucoup plus chronophage que ce que les profanes peuvent s’imaginer. Car les arbres doivent être taillés et traités – plusieurs fois à la chaux et une fois au cuivre, puis aux pesticides contre la mouche de la cerise et contre la nouvelle drosophile du cerisier (suzukii), encore plus agressive. Il peut aussi arriver que les cerises subissent la pourriture qui rend une grande partie de la récolte inutilisable, ou que des souris mangent les racines, comme Peter Meier vient justement d’en faire l’expérience.

Peter Meier, Rotkreuz (ZG), procède à un paillage pour lutter contre la drosophile du cerisier © regiosuisse

Fierté et porte-monnaie

Il faut investir à peu près 7000 francs suisses par arbre en travail et en matériel jusqu’à ce qu’il produise une vraie récolte, calcule Michela D’Onofrio. Il faut attendre sept ans jusqu’à ce qu’un arbre atteigne sa pleine floraison, après quoi il produit autour de 100 kilos de fruits chaque automne.

Pour Peter Meier, il y a derrière ce travail davantage que le seul rendement agricole. La tradition et le paysage lui tiennent à cœur – lorsque les arbres fleurissent au printemps ou rayonnent d’orange et de rouge en automne. «Même lorsque je vois les produits au magasin, je suis fier. Mais finalement – il faut aussi le dire – le porte-monnaie compte. C’est décisif pour savoir si on peut continuer à miser sur un produit.» Il peut désormais le faire, car les prix payés au producteur ont presque doublé au cours des dix dernières années. On le doit au PDR et à l’engagement régional. C’est ainsi que Peter Meier, comme nombre de ses collègues, peut aujourd’hui produire des cerises en couvrant ses coûts et planter encore davantage de cerisiers le long du chemin Obere Bachtalen.

zuger-rigi-chriesi.ch

blw.admin.ch/pdr

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Un Parc à vivre et à partager

Nathalie Jollien

Pour préserver et entretenir ses paysages, le Parc naturel régional Gruyère Pays-d’Enhaut a misé principalement sur l’économie alpestre et le maintien de savoir-faire ancestraux qui font son identité. Il a réalisé des actions en faveur de la biodiversité qui ont par la même occasion amélioré la qualité paysagère et planche sur une toute nouvelle Stratégie paysage. Le paysage constitue la ressource principale de ces régions et joue un rôle déterminant pour leur développement. Les activités touristiques sont directement liées à la qualité du paysage, lequel est un aspect important pour la commercialisation des fromages AOP Gruyère d’alpage, L’Étivaz et le Vacherin fribourgeois.

À l’intersection entre les cantons de Fribourg, Vaud et Berne, dans une zone de montagnes des Préalpes, 630 km² forment le Parc naturel régional Gruyère Pays-d’Enhaut. Fondé en 2012, le Parc implique aujourd’hui 17 communes situées entre Montreux, Gstaad et Gruyères. Son territoire s’étend donc des bords du Léman jusqu’à des sommets de 2500 m d’altitude. Selon François Margot, ingénieur agronome et co-coordinateur du parc: «Cette différence altitudinale nous offre une grande diversité faite d’une mosaïque de zones d’herbage et de forêts, parsemée de zones bâties, d’habitations, mais aussi de rochers et de zones plus naturelles bien présentes surtout dans la partie sud du Parc à haute altitude.»

François Margot © regiosuisse

Le paysage, l’élément clé de la valorisation économique

Ce paysage représente la ressource primaire de la région et joue un rôle fondamental dans le développement régional. «La population locale y est très fortement attachée. C’est un élément indéniable de la qualité de vie des habitants qui leur donne envie de vivre et s’investir dans la région», indique celui qui a été secrétaire régional de l’association de développement économique régionale du Pays-d’Enhaut pendant 30 ans. Toutes les activités touristiques sont également directement liées à la qualité paysagère du lieu. Les touristes sont principalement attirés par le paysage et le patrimoine culturel immatériel, ces traditions vivantes qui font l’identité de ces régions. «Pour moi, ces deux éléments sont fortement imbriqués, car le paysage donne la possibilité d’une valorisation économique de nos produits traditionnels. C’est ce qui permet au Gruyère d’alpage AOP, à L’Etivaz AOP et au Vacherin fribourgeois AOP de se différencier de fromages qui viendraient de l’industrie, ce qui leur donne un avantage comparatif.»

© regiosuisse

De fait, le paysage du Parc naturel régional Gruyère Pays-d’Enhaut est considérablement marqué par mille ans d’occupation paysanne. L’agriculture et l’économie alpestre y sont encore très actives et continuent à influer sur le paysage. «Soutenir l’agriculture traditionnelle, c’est notre meilleur moyen de conserver le paysage.» Les propriétaires de terrains sont les principaux acteurs pour maintenir les clairières, les lisières, les paysages ouverts, mais aussi la qualité du bâti avec les éléments typiques du paysage régional que sont les bâtisses aux toits recouverts de tavillons (tuiles de bois) ou les murs en pierre sèche.

L’accompagnement à la création de réseaux écologiques dans l’agriculture dans chacune des quatre régions qui le forment a été dès le départ une priorité pour le Parc naturel régional Gruyère Pays-d’Enhaut. Il a ensuite été mandaté par les associations agricoles régionales pour mettre en place un projet de qualité du paysage donnant droit à des paiements directs complémentaires par l’Office fédéral de l’agriculture. «Nous avons été pionniers avec cet engagement. Ce projet contribue à maintenir les paysages ouverts et à diversifier les éléments boisés dans nos paysages agricoles.»

Pont de bois du XVIIe siècle sur la Sarine entre Montbovon et Lessoc © regiosuisse

Favoriser la biodiversité et améliorer la qualité paysagère

Afin de sélectionner, orienter et promouvoir ses projets notamment, le Parc naturel régional Gruyère Pays-d’Enhaut utilise régulièrement des instruments de la politique paysagère suisse. «L’inventaire des paysages d’importance fédérale (IFP) ou cantonale réalisé récemment par le canton de Fribourg, les inventaires des sites construits à protéger (ISOS) ou les inventaires des biotopes sont des bases de planification sur lesquelles nous nous appuyons, mais aussi des leviers d’action pour susciter des applications concrètes auprès des communes par exemple.»

Pour l’instant, les mesures paysagères directement mises en œuvre par le Parc ont été plutôt occasionnelles. Par contre, des actions conduites en faveur de la biodiversité ont par la même occasion eu un impact positif sur la qualité du paysage. Citons des mesures de renaturations des eaux, la plantation de plus de 900 arbres fruitiers à haute-tige ou encore une campagne de création de haies.

La restauration de deux châtaigneraies au-dessus de Villeneuve fait aussi partie des actions réalisées par le Parc. En 2012, 2,4 hectares de forêt sont réaménagés grâce à une aide financière venant principalement du Fonds suisse pour le paysage, mais également de subventions cantonales et fédérales et de la vente du bois coupé sur le terrain. Afin de pérenniser la châtaigneraie, le Parc a créé une association de 17 propriétaires chargée d’organiser les travaux d’entretien et de s’assurer de la longévité du lieu.

Mise en place d’une Stratégie paysage

Après bientôt dix ans d’existence, le Parc arrive au terme de la validité de sa Charte, contenant les grands axes de travail, les champs d’action et le positionnement du Parc par rapport aux autres acteurs et institutions de la région. «Nous avons demandé le renouvellement de notre reconnaissance fédérale en tant que parc naturel régional pour les dix ans à venir et travaillons sur l’établissement d’une nouvelle Charte. Nous avons notamment prévu de mettre en place une Stratégie paysage et donc d’élaborer activement des projets de qualification paysagère.» Des demandes de financement sont en cours pour démarrer dès cette année des projets de restauration de sentiers et de murs dans l’IFP du Vanil Noir. Dans le cadre de ce renouvellement, il est prévu que quatre autres communes des cantons de Berne, de Fribourg et de Vaud rejoignent le Parc – un indice de son attractivité pour la population. La stratégie passera également par une mise en avant de la thématique du paysage dans les politiques communales et le débat public. L’objectif étant de donner une place explicite au paysage, qui n’occupe encore bien souvent que le second plan.

© regiosuisse

L’impact économique du Parc

Bien que difficiles à cerner, on estime que les retombées économiques globales cumulées sur sept ans (2011-2018) s’élèvent à 25 000 000 francs. Ce chiffre comprend aussi bien les retombées directes et indirectes que des retours en termes d’image. Le Parc génère un apport important de financements cantonaux et fédéraux pour la réalisation de son programme d’actions. Il donne également accès à des financements complémentaires auprès de fondations et autres partenaires. La grande majorité de ces ressources financières sont dépensées dans le territoire du Parc et permettent le développement de diverses activités économiques.

Le Parc a par exemple créé des offres touristiques comme des conférences, ateliers, visites et autres animations. Elles entraînent des revenus pour les partenaires et prestataires de la région (hôtels, chambres d’hôte, restaurants, commerces, producteurs, accompagnateurs en montagne); environ 4500 visites en sept ans, avec 150 000 francs versés aux prestataires. Il a des collaborations régulières avec les Offices du tourisme régionaux environnants dont celui de Gstaad ou avec la Communauté d’intérêt touristique des Alpes vaudoises pour coordonner leurs activités.

Des accords de partenariat sont aussi établis avec quatre associations de développement économique régional. Le Parc coopère notamment très régulièrement avec l’association Pays-d’Enhaut Région au sujet de la marque déposée «Pays-d’Enhaut Produits Authentiques» et de la marque «Parc». Il est aussi en charge du développement de la filière bois.

gruyerepaysdenhaut.ch

bafu.admin.ch/parcs

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In Iffwil im fruchtbaren Berner Mittelland bewirtschaftet Klaus Zaugg sechzehn Hektaren Boden, von denen ein Viertel Pachtland und rund 3,5 Hektaren Wald sind. Seit zwei Jahren wird der Hof nicht mehr als klassischer Familienbetrieb geführt, sondern als Biohof Zaugg AG. Was genau steckt hinter der landwirtschaftlichen Aktiengesellschaft?

«Unser Hof ist zwar flächenmässig eher klein, doch die Bewirtschaftung nach biodynamischen Grundsätzen gemäss Demeter ist ziemlich aufwändig. Hinzu kommt, dass wir unsere Erzeugnisse auch selber verarbeiten und vermarkten. Täglich gehen wir ‹z Märit›, im Wochenturnus nach Bern und auf sechs weitere Märkte in der Region. Wir verkaufen an unserem Stand mehr als 150 verschiedene Produkte, vor allem frisches Gemüse, aber auch Obst, Beeren, Molkereiprodukte, Fleisch, Konfitüre, Honig und noch vieles Weiteres. Wöchentlich bedienen wir rund 700 Stammkunden.

Wir beschäftigen 30 bis 35 Leute, die sich rund 1700 Stellenprozente teilen. Damit erreichen wir personell fast schon die Grösse eines KMU. Hauptsächlich aus diesem Grund haben wir uns 2019 vom Modell des klassischen Familienbetriebs verabschiedet und eine AG gegründet. Diese wird von einer fünfköpfigen Geschäftsleitung geführt. Die Organisationsform gibt uns den notwendigen Spielraum für unsere gesamte Wertschöpfungskette, zu der zum Beispiel auch Milchverarbeitung in unserer eigenen Hofkäserei gehört.

Ich selbst bin für den Gemüsebau verantwortlich, der im regenerativen Anbau erfolgt. Das bedeutet, dass wir den Boden nicht pflügen, sondern nur oberflächlich bearbeiten. In Zukunft möchten wir beim Anlegen der Felder mehr auf die Topografie achten. Ziel ist es, die Erosion und den Wasserabfluss möglichst zu stoppen. Wir pflanzen Baumreihen, die den Wind brechen und die Verdunstung reduzieren. Die Förderung des Wasserkreislaufs über das Mikroklima wird immer wichtiger, denn in den vergangenen Jahren gab es immer wieder Trockenperioden, sodass wir unsere Kulturen bewässern mussten. Der Klimawandel wird immer mehr zu einer Herausforderung. Zum Beispiel tauchen plötzlich neue Arten auf wie seit einigen Jahren die Kirschessigfliege, die unsere Beerensträucher befällt.

Unsere grösste Aufmerksamkeit gilt einem gesunden Boden, denn er ist unsere eigentliche Lebensgrundlage. Aus ästhetischen Gründen und zur Förderung der Artenvielfalt haben wir im Laufe der Jahre eine vielfältige Hecke und Hochstammobstgärten gepflanzt. Zehn Bienenvölker, also rund 300 000 Bienen, sorgen dafür, dass die Äpfel, Birnen, Kirschen, Pflaumen, Zwetschgen und Mirabellen wachsen und gedeihen. Vielfalt ist uns auch auf den intensiv bewirtschafteten Gemüsefeldern wichtig. Dabei sind wir ständig am Ausprobieren von neuen Saaten und Sorten. Neuerdings ernten wir Süsskartoffeln und Borlotti-Bohnen, eine beliebte und gesunde Hülsenfrucht.

Nach getaner Arbeit geniesse ich es, über unseren Hof zu spazieren und den Blick über die Felder, Bäume und Hügel schweifen zu lassen. In dieser Landschaft, die für mich Arbeits- und Erholungsraum ist, bin ich ganz zu Hause. Ich überlege mir auf diesen Spaziergängen, wie sich die Landschaft hier weiter verschönern liesse. Hoffentlich enden unsere Hecken eines Tages nicht länger an der Hofgrenze, sondern sind Teil eines grossen Netzwerks. Wie ausgeräumt unsere Umgebung vielerorts ist, ist mir kürzlich während einer Reise in Norddeutschland aufgefallen. Wir besuchten eine Region, wo die Bauern der Natur offensichtlich noch mehr Spielraum lassen mit dem Resultat, dass die Landschaft dort deutlich abwechslungs- und artenreicher ist als bei uns.»

biohofzaugg.ch

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Mit Trockenmauern begrenzten die Bauern früher ihre Felder, und sie terrassierten damit steile Hänge. Lange Zeit prägten Trockenmauern das Bild vieler Landschaften. In der modernen Landwirtschaft mussten sie grösstenteils Rädern und Maschinen weichen oder zerfielen, da sie ihre Funktion verloren. Mit den Trockenmauern verschwanden auch viele wertvolle Biotope. Im November 2019 hat die UNESCO Tro­ckenmauern zum Weltkulturerbe erklärt. Das hat unzählige Projekte ausgelöst, so auch im Glarnerland. Was beim Wiederaufbau zerfallener Trockenmauern die eigentliche Herausforderung ist, weiss Daniel Kunz.

«Wir restaurieren in einem kleinen Team von sechs Leuten die zerstörten Trockenmauern entlang eines alten Geissenwegs. Unser Gelände befindet sich über dem Talboden, zwischen Mitlödi und Lassigen, unter dem Vorder Glärnisch. Das Projekt wird von Pro Natura und weiteren Umweltorganisationen finanziert.

Mauern ohne Mörtel zu bauen, ist meist reines Handwerk, das man nur in der Praxis lernen kann. Technisch gibt es dabei einen gewissen Spielraum, aber wir Trockenmaurer brauchen auf jeden Fall ein gutes Auge und eine gewisse praktische Begabung. Weil wir keine Bindemittel verwenden, müssen wir umso mehr auf die Statik und die Gesetze der Schwerkraft achten. Ausserdem versuchen wir, der Mauer ein bestimmtes Gepräge zu geben.

Als Einundsechzigjähriger bin ich eher ein spätberufener Trockenmaurer. Aber ich habe zeitlebens immer viel im Freien gearbeitet, zum Beispiel in der Landwirtschaft und auf der Alp. Dieses Projekt ist mehr als einfach ein Job, sondern mit Leidenschaft verbunden. Und mit wachsender Erfahrung macht der Trockenmauerbau auch immer mehr Spass. Jedenfalls gibt es mir ein gutes Gefühl, Landschaft auf diese Art gestalten zu können, auch wenn ich am Abend meistens todmüde bin. Aber weil ich nur am Montag, Donnerstag und Freitag als Trockenmaurer tätig bin, habe ich dazwischen genügend Zeit, neue Kräfte zu sammeln. Die Arbeit im Freien ist ein idealer Ausgleich zu meinem angestammten Beruf als Bewegungs- und Tanztherapeut, den ich jeweils am Dienstag und Donnerstag am Kantonsspital Glarus ausübe.

In unserem bunt durchmischten und ziemlich internationalen Trockenmaurerteam bin ich der einzige Einheimische. Die Landwirte vor Ort interessieren sich für unser Werk nicht sonderlich. Hauptsache, sie können die Felder links und rechts unserer Trockenmauern weiterhin intensiv bewirtschaften. Gutes Echo erhalten wir hingegen von den Leuten, die hier zufällig vorbeikommen. Sie finden die Trockenmauern am alten Geissenpfad, der heute offiziell auch ein Wanderweg ist, eine Bereicherung und sind begeistert. Schön wäre es, wenn wir unsere Trockenmauern später mit Hecken kombinieren könnten. Das wäre für die Artenvielfalt, vor allem für die Vögel, noch besser.

In meiner Freizeit bin ich meistens in der näheren Umgebung unterwegs, weniger als sportlicher Wanderer, sondern eher als gemütlicher Spaziergänger. Ich fotografiere, beobachte die Natur und mache auch mal ein Lagerfeuer. So kann ich die Landschaft, die für mich viel mehr ist als bloss eine Kulisse, intensiv geniessen. Ich kann darin auftanken und mich körperlich und geistig im Gleichgewicht halten.

Meine Ferien verbringe ich am liebsten in Portugal. Auf meinen Streifzügen in den Kork- und Steineichenwäldern im Alentejo beeindruckt mich immer wieder, wie sehr jede Landschaft ihren eigenen Charakter hat. Leider erlebe ich auch immer wieder, wie rücksichtslos mancherorts mit Landschaft umgegangen wird. Vielen Menschen fehlt offensichtlich das Gespür für die Qualitäten und Schönheiten der Landschaft.»

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