Le Vacherin Mont-d’Or a retrouvé toute sa saveur régionale

Patricia Michaud

C’est l’une des fiertés vaudoises et sa production est désormais 100 % locale: depuis 2021, les embléma­ tiques boîtes en épicéa renfermant le Vacherin Mont­ d’Or sont fabriquées à la vallée de Joux. Cette relocali­ sation, après dix ans d’«infidélités» de l’autre côté de la frontière, renforce le poids de l’AOP du célèbre fro­ mage, selon les porteurs du projet.

Son goût fruité et sa texture crémeuse font de sa dégustation une expérience culinaire intense. Produit artisanalement entre la mi­août et la mi­mars à la vallée de Joux (VD) et au pied du Jura vaudois, le Vacherin Mont­d’Or est l’un des fromages romands les plus connus. Sa célébrité, ce produit la doit no­ tamment à la boîte ronde en épicéa qui lui sert de cocon et le rend reconnaissable au premier coup d’œil dans le rayon frais des épiceries.

À la vallée de Joux, cette spécialité fait figure de fierté régionale, au même titre que l’horlogerie et la microtechnique. Il y a vingt ans, les membres de l’Interprofession du Vacherin Mont­d’Or – créée en 1999 afin de sauvegarder les intérêts de ce fromage et d’en défendre la production – ont obtenu la consécration ultime: une AOP (appellation d’origine protégée). Et pourtant, durant plus de dix ans, son si caractéristique – et sympathique – emballage a dû être produit hors de la région. Et même hors du pays, en France voisine. Certes avec du bois local – la forêt du Risoud, la plus grande d’un seul tenant en Europe, se situant à proximité de la frontière – mais dans un atelier français, le seul fabricant suisse de boîtes ayant pris sa retraite en 2010.

«Les années passant, la retraite arrivait également pour ce fabricant français», rapporte Pascal Monneron, gérant de l’Interprofession Vacherin Mont­d’Or AOP. Se posa alors sérieuse­ ment la question de la pérennité de l’approvisionnement en boîtes, ainsi que de la conservation d’un savoir­faire ancestral. En 2018, le comité de l’Interprofession a nommé une commis­ sion chargée de plancher sur la question. Etant donné que «l’utilisation de l’image de proximité et du travail artisanal sont primordiaux pour la communication à nos consommateurs», il a été décidé de faire d’une pierre deux coups et de relocaliser la production des boîtes dans la vallée de Joux, ce afin que l’en­ semble de la filière du Vacherin Mont-d’Or soit assuré sur place.

Financement public-privé

© regiosuisse

Une seule société de la région, une PME nommée Boîte du Risoud, était capable de reprendre la fabrication du pré­cieux contenant. «Elle maîtrisait déjà l’assemblage des divers composants de la boîte mais était dépendante de scieurs et de producteurs français», explique Magali Estève de la plateforme Star’Terre, qui a participé à l’accompagnement du projet de relocalisation. «L’idée centrale – qui avait d’ailleurs déjà émergé lors de l’enregistrement de ce fromage en tant qu’AOP – était que les affineurs puissent redevenir maîtres de toute la chaîne.» Parmi les principaux défis rencontrés figuraient ceux de «créer du dialogue entre les différents acteurs, de rapatrier le savoirfaire et de trouver des solutions concrètes en matière de sto­ ckage et de congélation». De congélation? «Oui, sinon le bois perd son humidité, donc sa souplesse.»

Devisé à près de 800 000 francs, le projet de relocalisation de la fabrication des boîtes en épicéa – via la création d’une Sàrl baptisée Valartibois – a été porté par huit des onze affineurs membres de l’Interprofession, ainsi que par la direction de l’en­ treprise Boîte du Risoud. Des coups de pouce financiers régio­ naux sont venus appuyer la démarche, notamment celui d’une fondation et du canton de Vaud. Le projet a également reçu un soutien dans le cadre des mesures pilotes NPR (Nouvelle poli­tique régionale) en faveur des régions de montagne, ainsi que d’autres aides fédérales. Bref, un financement public-privé avec un accent fortement local, comme on en rencontre de plus en plus souvent en terre helvétique.

Patrimoine forestier valorisé

Des machines datant pour certaines des années 1940 ont été installées dans les futurs locaux de Valartibois, situés à L’Abbaye. Ou plutôt réinstallées, puisqu’elles y avaient déjà servi par le passé. Elles permettent de confectionner les quatre com­ posants des boîtes à fromage – le couvercle, le fond et les deux targes (ou pliures) – à partir de grumes d’épicéas provenant du périmètre de L’AOP. Ces pièces sont ensuite transportées au Brassus, où elles sont assemblées. La capacité de montage quo­ tidienne de cet atelier est de 6000 boîtes. Pour mémoire, le Vacherin Mont­d’Or a la particularité d’être conservé dans un double emballage boisé: avant d’être glissé dans son contenant, il est ceinturé d’une sangle – elle aussi en épicéa – qui lui confère son goût si particulier.

Huit nouveaux postes ont été créés afin d’assurer en flux tendu la production annuelle des quelque 700’000 boîtes, soit environ 70% des contenants renfermant les 580 tonnes d’onctueux fromage fabriquées chaque saison. Dans la foulée, 300 m3 de bois sont valorisés. Justement, lors de la cérémonie d’inauguration de Valartibois en septembre 2021, aussi bien le syndic de L’Abbaye Christophe Bifrare que la députée au Grand conseil vaudois Carole Dubois se sont réjouis de la contribution de cette entreprise à la valorisation du patrimoine forestier régional. Il a été rappelé à cette occasion que chaque minute, 1 m3 de bois pousse dans le canton de Vaud.

Davantage de résilience

Certes, les fromagers doivent désormais débourser 3% de plus pour leurs écrins «made in vallée de Joux». Reste qu’en terme de marketing, ce sont non seulement les fabricants de Vacherin, mais aussi toute la région, qui profitent du retour au pays de la production des boîtes. «Cette relocalisation donne davantage de sens et de poids à l’AOP », estime Magali Estève. Par ricochet, il est possible de communiquer sur des valeurs «qui vont bien au­delà du côté local, puisqu’il est question de terroir, de patrimoine, de tradition, d’histoire».

Côté finances, près de deux ans après le lancement de Valartibois, quel est le bilan? «La société ne dégage aucun bénéfice», admet Pascal Monneron. «Par contre, étant donné qu’elle est gérée par les affineurs, donc par ses propres clients, ces der­ niers conservent la maîtrise du prix de revient de la boîte, ce qui constitue un sérieux avantage.» Magali Estève, elle, met le doigt sur un autre avantage économique de taille qu’offre cette relo­ calisation. «En permettant la maîtrise de toute la filière, on a rendu la chaîne de production plus résiliente; en cas de futurs chocs, elle sera mieux à même de résister.».

Projet NPR dans la base de données regiosuisse

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