Un poumon vert au parfum industriel

Patricia Michaud

D’ici l’été 2021, le Parc des Carrières accueillera ses premiers visiteurs. Cet ambitieux projet transfrontalier prévoit de convertir en parc paysager une vaste zone mixte – champs, gravière, etc. – située entre les villes de Bâle, Allschwil, Hégenheim et Saint-Louis. Les promoteurs du projet s’appuient sur les caractéristiques mêmes de ce «non-lieu» pour structurer l’aménagement du territoire. Un modèle à exporter.

Des pelleteuses s’activent bruyamment dans une imposante gravière, tandis que des avions sillonnent le ciel; à perte de vue, on aperçoit des champs de colza et de maïs uniformes et rectilignes. Les quelque 300 hectares de terrain situés entre les villes suisses de Bâle et Allschwil et françaises de Hégenheim et Saint-Louis ne correspondent pas vraiment à l’idée que l’on se fait d’une oasis de nature et de détente. Et pourtant, d’ici l’été 2021, cette zone transfrontalière accueillera les premiers visiteurs du nouveau Parc des Carrières IBA, un ambitieux projet qui a pour but d’offrir un véritable poumon vert aux habitants de la région.

Dans ce parc paysager, dont les trois étapes de réalisation s’étendront jusqu’en 2028, les citadins trouveront de quoi échapper, le temps d’une heure ou d’une demi-journée, au stress du quotidien. Le projet fait la part belle aux sentiers végétalisés et à des équipements familiaux – aire de jeux, tour d’observation, etc. – mais aussi, à moyen terme, à la préservation de la biodiversité, ce grâce à des centaines d’arbres indigènes et à des prairies maigres pâturées par des moutons. Pour accéder à cet îlot de nature réaménagée – dont le cœur occupera près de 12 hectares –, les résidents des quatre localités limitrophes auront à leur disposition plusieurs corridors piétons et cyclables. Pas moins de 40 000 habitants du secteur pourront ainsi atteindre le Parc des Carrières en moins de 12 minutes à pied ou 5 minutes à bicyclette. Sans oublier la ligne de tram numéro 3 reliant Bâle à Saint-Louis, dont un arrêt donne directement accès au parc.

Coexistence entre nature et activité humaine

Le Parc des Carrières, c’est tout d’abord une vision, celle de l’urbaniste bâlois Andreas Courvoisier. «En Suisse, les gravières sont de taille relativement modeste. Mais en France et en Allemagne voisines, elles sont gigantesques et marquent fortement le paysage. Généralement, lorsqu’elles ne sont plus exploitées, ces carrières sont remblayées, puis le terrain est rétrocédé à l’agriculture. Or, il me paraît pertinent d’apporter de la valeur ajoutée à ces espaces, d’éviter la monoculture tout en contribuant à la biodiversité et à la mise en avant du paysage local dans toute sa spécificité. Après tout, le gravier est l’une des ressources naturelles essentielles dont dispose notre région!»

Il y a une dizaine d’années, Andreas Courvoisier a proposé de promouvoir une urbanisation verte innovante pour le territoire, rebondissant sur un appel à projets de l’IBA Basel. Cette structure a été créée en 2010 par les principaux acteurs politiques de la région, notamment dans le but d’orienter de manière transfrontalière et à long terme la croissance et l’intégration de la région urbaine. Elle a été soutenue à hauteur de 3,3 millions d’euros par le programme INTERREG Rhin Supérieur. À travers le Parc des Carrières, «il y a une réelle volonté de reconstruire le paysage, de lui redonner sa variété et sa richesse d’antan. Parallèlement, il faut jouer sur cette coexistence entre nature et activité humaine; elle fait partie intégrante du projet et est à l’origine d’une partie de son intérêt.» L’urbaniste cite l’exemple du gravier: «À certains endroits, il est prévu qu’il affleure presque à la surface, car il apporte une chaleur qui plaît à certaines espèces naturelles.»

Andreas Courvoisier et Monica Linder-Guarnaccia © regiosuisse

Un non-lieu en guise de structure

Pour l’IBA Basel, qui supervise plus de trente projets à saute-frontières, le Parc des Carrières constitue à la fois un projet pilote et modèle, «qui doit aider à montrer qu’il est possible d’augmenter la qualité de vie et du paysage grâce aux espaces non bâtis, dans une logique où toutes les parties sont gagnantes, que ce soient les habitants, les agriculteurs, les promoteurs immobiliers, les représentants politiques ou les défenseurs de l’environnement», explique avec enthousiasme Monica Linder-Guarnaccia, la directrice de cette structure dont le slogan est «Au-delà des frontières, ensemble».

À l’image d’Andreas Courvoisier, elle précise qu’il n’est ici ni question de créer un parc urbain avec des pelouses hyper-entretenues, ni, à l’inverse, de prétendre qu’on se trouve en pleine nature sauvage. «Il s’agit d’un modèle alternatif. Nous assumons le fait d’être aux portes de la ville, dans un contexte fortement industrialisé. C’est justement ce qui fait la richesse du projet. Nous avons à la fois la possibilité de sensibiliser à la thématique de la biodiversité et au fait qu’un ‹non-lieu› peut aider à structurer l’aménagement du territoire. » D’ailleurs, le nom même du projet annonce la couleur, puisqu’il évoque à la fois les côtés paysager (parc) et industriel (carrières).

Financement mixte

Sans surprise, deux des principaux défis que représente le projet de Parc des Carrières sont à chercher du côté du financement et de la mise à la même table de tous les acteurs concernés. Le tout «dans un contexte transnational et bilingue», rappelle Monica Linder-Guarnaccia. «Étant donné que l’idée de départ du parc émanait d’un privé, à savoir Andreas Courvoisier, nous avons débuté avec de l’argent privé, mis à disposition par diverses fondations. » Cette manne a financé les études de faisa­bilité du projet, qui, par ricochet, «nous ont permis de montrer aux autorités compétentes à quel point le parc était intéressant, notamment en terme de bassin de population concerné et de résolution des nœuds de communication».

Parmi les bailleurs de fonds de la première étape de réalisation du parc, Mme Linder-Guarnaccia cite la ville de Bâle, la région Grand Est ou encore la Confédération. À noter qu’en 2019, le projet s’est concrétisé grâce à la signature d’un accord-cadre et d’accords bilatéraux entre les différents partenaires publics et privés du projet. À également été créée l’Association pour la promotion du Parc des Carrières, une structure franco-suisse réunissant les principaux acteurs impliqués, à savoir : Saint-Louis Agglomé­ration, Saint-Louis, Hégenheim, le canton de Bâle-Ville, le canton de Bâle-Campagne, Allschwil, le Bürgerspital Basel, KIBAG, EuroAirport et Eurodistrict Trinational de Bâle (avec sa succursale IBA Basel).

© regiosuisse

Un modèle à exporter

« Situé à proximité immédiate de la ville de Bâle, jouxtant des quartiers densément peuplés, le Parc des Carrières profitera pleinement à la population bâloise même s’il se trouve sur sol français », se réjouit Susanne Fischer, qui coordonne le projet pour le canton de Bâle-Ville. «La qualité de vie s’en trouvera augmentée dans l’Ouest bâlois.»

«Le Parc des Carrières constitue un bel exemple de financement mixte », analyse pour sa part Andreas Courvoisier. Il ajoute que les promoteurs du projet ont trouvé un moyen supplémentaire de générer une partie des fonds nécessaires à la suite des opérations. «Une autorisation de sur-remblaiement de 2 m de toute la carrière a été obtenue.» Un concept innovant, qui conforte Monica Linder-Guarnaccia dans l’idée que le Parc des Carrières est un modèle qui peut être reproduit à l’échelle régionale, voire exporté. «Rien que dans la région d’activité de l’IBA Basel, on compte plus de 50 gravières. Le potentiel est énorme!»

iba-basel.net

interreg.ch

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