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Les formes de travail flexibles: une opportunité pour les espaces ruraux?

Pirmin Schilliger & Urs Steiger
Le monde du travail traverse des changements structurels fondamentaux où les formes de travail flexibles sont visiblement dans le vent. Celles-ci sont moins hiérarchiques et peuvent être pratiquées indépendamment du temps et du lieu, sous la responsabilité propre du travailleur et donc de manière décentralisée. Cette réorganisation du monde du travail, accélérée depuis la mi-mars par le confinement dû au coronavirus, offre aussi de nouvelles opportunités de développement aux espaces ruraux ou périphériques. Mais pour pouvoir en profiter, ceux-ci ont besoin d’une infrastructure performante qui comprend des espaces de coworking, des bureaux à domicile et des réseaux de communication rapides. Les espaces ruraux et les régions de montagne doivent en outre rehausser leur attractivité comme lieux de résidence et de vie en améliorant leur offre de services et de desserte.
© regiosuisse

De nombreux espaces ruraux ou périphériques de Suisse se développent nettement moins vite que les régions urbaines. Certains perdent même des emplois et des habitants depuis des décennies. Cette perte est un processus plus ou moins insidieux qu’il est parfois possible de stopper ponctuellement. On réussit à le faire surtout dans les grandes destinations touristiques des Alpes, dans les centres régionaux des principales vallées alpines ou dans l’environnement proche de grandes entreprises. De meilleures liaisons de transport contribuent parfois à retourner la tendance. D’un seul coup, elles peuvent transformer des communes périphériques en lieux de résidence attractifs pour les pendulaires. Les longs trajets pendulaires ne constituent toutefois pas une solution durable.

Mais dans les villages et les communes où il n’est pas possible de stopper le processus de contraction, le réseau de prestataires s’éclaircit avec la perte démographique: les services publics et privés – de la poste au magasin du village en passant par l’école – ne peuvent plus être exploités de façon économique pour des raisons de taille et de demande. Les villages concernés glissent dans une spirale négative. Avec la disparition du réseau de prestataires, ils perdent aussi leur attractivité comme lieux de résidence. Une fois que de nombreux habitants sont partis, la vie sociale finit par s’arrêter.

Connu depuis des décennies, ce cercle vicieux constitue un thème central du développement régional. Mais il y a sans cesse des tentatives réussies de le combattre – certaines grâce au soutien de la Nouvelle politique régionale (NPR) – par des projets, des concepts et des stratégies de développement.

Travail et logement flexibles en région de montagne

Tant les acteurs du développement régional que les communes concernées ont repris espoir ces derniers temps en considérant les formes de travail flexibles. Celles-ci sont apparues dans le sillage de la numérisation. À ce jour, elles sont pratiquées surtout par les grands centres informatiques et par les centres de services du milieu urbain. Mais elles pourraient s’étendre à d’autres branches et secteurs et même aider la périphérie la plus malmenée par le déclin économique à prendre un nouvel essor. Nombre de personnes impliquées dans le développement régional à tous les niveaux ont des attentes à ce sujet. Mais la pertinence réelle de la recette de développement associée à ces formes de travail n’est pas encore prouvée avec certitude, même si la culture du télétravail, prescrite dans de nombreuses entreprises au cours des dernières semaines et des derniers mois à cause de la pandémie de Covid-19, a bien fait avancer les choses.

Si la numérisation supprime les obstacles de l’espace, du temps et de la matière, les territoires les plus périphériques se retrouvent effectivement à proximité des centres. Avec ses formes de travail flexibles le marché du travail, organisé de manière décentralisée, peut étendre ses tentacules dans les endroits les plus reculés. Tout semble soudain très simple, du moins dans les branches où les employés exercent la majeure partie de leur activité sur PC. Habiter et travailler en région de montagne ? Au fait, pourquoi pas à l’aire de la connexion numérique, des contacts virtuels, du télétravail, des espaces de coworking et de l’impression 3D !

1000 espaces de co-working

Les nombreux espaces de coworking, aménagés aussi à l’écart des centres urbains au cours des dernières années, démontrent que ce scénario est davantage qu’un vœu pieux. Selon une enquête de la Haute école de Lucerne (HSLU), il existe maintenant dans l’espace rural suisse cinquante espaces de travail partagés, utilisés de manière flexible par quelque 2500 travailleurs. Ce nombre paraît certes encore modeste, mais le phénomène est très récent.

La coopérative VillageOffice est un moteur de ce développement en Suisse. Elle a accompagné de ses conseils la mise en place de trois douzaines d’espaces de coworking en région rurale, périphérique ou alpine, dont huit dans le cadre de projets NPR. Fabienne Stoll, responsable de la communication de VillageOffice, parle d’une tendance encore embryonnaire. « Plus de trois millions d’actifs pourraient dès aujourd’hui travailler de façon mobile, constate-t-elle, mais seul un million d’entre eux le font déjà et travaillent de temps à autre à domicile. Mais je crois que la situation actuelle donnera une puissante impulsion, car de très nombreuses firmes et leurs employés y ont pris goût avec la crise du coronavirus. » Fabienne Stoll estime qu’environ un tiers des postes de travail de bureau organisés de manière traditionnelle disparaîtront à moyen terme. Une part importante du travail pourrait être externalisée vers des postes de travail à usage temporaire situés dans des communes rurales et des régions de montagne. VillageOffice s’est fixé pour objectif de recouvrir toute la Suisse rurale de quelque mille espaces de coworking au cours des prochaines années, notamment aussi pour des raisons écologiques. Selon les calculs, une telle offre permettrait d’économiser 4,4 milliards de kilomètres de trajets pendulaires par an et donc des dizaines de milliers de tonnes d’émissions de dioxyde de carbone.

Les pronostics de Timo Ohnmacht sont un peu plus prudents. Ce professeur à la HSLU a étudié ce phénomène encore récent dans le cadre d’une étude du Fonds national. « On enregistre certes des succès, mais les sites locaux de coworking n’ont encore aucune utilité mesurable pour l’économie régionale, conclut-il. Le mouvement du coworking pourrait toutefois bientôt obtenir davantage de résultats grâce à des espaces de travail partagés bénéficiant d’un soutien public, qui donnent des impulsions durables à l’espace rural en tant qu’instruments de développement régional », estime-t-il.

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Les espaces de co-working Voisins à Genève disposent tous d’un café. © regiosuisse

L es communes doivent améliorer leur attractivité comme lieux de résidence et de vie. Les espaces de co-working n’y suffisent pas à eux seuls.

Plus les logements sont abordables, plus la localité est attractive

Les espaces de coworking sont un peu le fer de lance des formes de travail flexibles dans l’espace rural. Mais le nombre croissant de pendulaires à temps partiel qui accomplissent leur travail de plus en plus souvent et de plus en plus longtemps à domicile est plus important en termes économiques. La situation actuelle du marché du logement alimente cette réorganisation du travail. Dans la récente étude de Credit Suisse sur le marché immobilier suisse1, des chercheurs ont étudié la relation entre les flux pendulaires et le choix du domicile. Ils ont constaté une tendance à résider en zone rurale. Fredy Hasenmaile, responsable de l’analyse immobilière chez Credit Suisse, déclare: «De moins en moins de gens cherchent leur domicile directement là où ils exercent leur profession, mais de plus en plus là où il y a des logements abordables. Et ils restent en général fidèles au domicile une fois qu’il a été choisi. Celui-ci devient la constante d’une vie, avec des changements d’emploi de plus en plus fréquents et un environnement professionnel qui ne cesse de changer.» Le quatre pièces moyen de 110 m2 coûte plus de 1,5 million de francs en ville de Zurich. À 60 minutes de train, on peut l’avoir pour moins de la moitié selon l’étude de Credit Suisse.

Il n’est pas étonnant que de plus en plus de gens en aient assez des logements chers en ville. De toute façon, ils préfèrent habiter près de la nature lorsqu’il est possible de le concilier avec leur travail. Les travailleurs pendulaires – neuf employés de Suisse sur dix en font partie – sont attirés de plus en plus loin en périphérie à cause de la situation des prix. «Ceci favorisera l’établissement des nouvelles formes de travail dans l’espace rural» concluent les auteurs de l’étude de Credit Suisse. Un sondage de gfs-zurich réalisé sur mandat du SECO2 parvient à une conclusion similaire. Les pendulaires de longue distance qui assument une heure ou plus de trajet aller simple jusqu’au travail manifestent le plus vif intérêt pour les nouvelles formes de travail. C’est une catégorie en forte croissance ces derniers temps et qui constitue maintenant 20 pourcents des pendulaires. Presque tous seraient ravis de pouvoir travailler à domicile certains jours, voire davantage.

Infrastructure nécessaire

Avec le changement des besoins en matière de logement, le potentiel de développement des formes de travail flexibles est donc incontestablement important pour l’espace rural ou périphérique. Une certaine infrastructure est cependant nécessaire pour que ce potentiel puisse être exploité.

  • Immeubles: Le défi le moins important est probablement la mise à disposition des immeubles nécessaires. Selon VillageOffice, l’offre et la demande, par exemple d’espaces de coworking, sont en équilibre à l’heure actuelle. En outre, il y a justement dans les régions rurales des bâtiments inoccupés qu’il est possible, si nécessaire, de reconvertir et d’équiper rapidement et pour un coût relativement faible. Par ailleurs, de nombreux employés ont aménagé leur bureau à domicile depuis longtemps.
  • Réseaux de télécommunication: La Suisse est certes déjà relativement bien pourvue de connexions Internet performantes par rapport aux pays voisins. Mais le fossé ville-campagne se creuse à de nombreux endroits dans le domaine de l’infrastructure. S’agissant des formes de travail flexibles, l’appel à la meilleure desserte possible de toutes les régions de Suisse est compréhensible. Différentes possibilités sont envisageables pour fournir aux régions périphériques et aux centres touristiques alpins une interconnexion aussi performante que dans les centres urbains. Avec son concept de promotion du très haut débit, le canton des Grisons soutient par exemple le développement des autoroutes de l’information. La NPR cofinance les travaux conceptuels dans le cadre de projets régionaux de viabilisation. La technologie de radiotéléphonie 5G représente aussi une opportunité pour les espaces ruraux et les régions de montagne. Mais son développement est bloqué par des oppositions et pour des raisons politiques.
  • Mobilité: La nouvelle main-d’œuvre flexible reste en majorité formée de pendulaires à temps partiel. Elle souhaite pouvoir répartir librement son activité entre le bureau à domicile ou l’espace de coworking du village et le poste de travail dans un centre urbain. La qualité des voies de communication constitue ici la condition déterminante. Plusieurs projets dont la NPR a aussi soutenu les travaux préparatoires de planification et de conception, ont contribué à combler les lacunes dans ce domaine au cours des dernières années. Ils ont surtout servi – dans le cadre d’Interreg – à améliorer les transports publics transfrontaliers dans les régions de Bâle, de Genève, du Jura et du Tessin. À cela se sont ajoutés des essais pilotes d’utilisation intelligente de différents modes de transport, y compris de nouvelles formes de mobilité partagée. Mais les promoteurs du développement régional estiment que tout cela n’est de loin pas suffisant. «En Suisse, toute personne devrait pouvoir accéder au bureau de coworking le plus proche en 15 minutes à vélo ou en transports publics» selon un objectif énoncé par VillageOffice. Étant donné que la main-d’œuvre flexible reste le plus souvent composée de pendulaires à temps partiel, Peder Plaz, directeur du Forum économique des Grisons, estime que «créer des distances pendulaires raisonnables sur l’ensemble du territoire suisse serait probablement la mesure la plus efficace pour asseoir aussi les nouvelles formes de travail dans l’espace rural et préserver l’occupation décentralisée du pays».

Gestion et mise en réseau des espaces de co-working

Reto Bürgin, géographe-économiste à l’Université de Berne, étudie notamment au moyen de la géolocalisation la nouvelle «multilocalité» numérique liée aux espaces de coworking situés dans les régions alpines suisses. Voici son impression: «Dans le meilleur des cas, les espaces de coworking à eux seuls contribuent à réduire le trafic pendulaire. Mais il faut davantage pour qu’ils relancent, en tant que moteurs de développement, l’économie et la vie sociale d’une commune: ce phénomène encore récent doit s’ancrer dans les esprits et l’exploitation des espaces doit être intensive.» Une bonne offre de locaux professionnels équipés d’une infrastructure parfaite n’est donc qu’un bon début. Afin que le scénario d’avenir prometteur se réalise pleinement pour les espaces ruraux et périphériques, la main-d’œuvre flexible doit se mettre en réseau pour former une communauté. C’est dans ce cadre qu’elle pourra développer des idées, échanger ses impressions sur ses problèmes, créer de nouveaux concepts et éventuellement s’impliquer dans de nouvelles coopérations. «Les échanges mutuels génèrent souvent des projets innovants, de nouveaux produits, services ou modèles économiques, jusqu’à des démarches de recherche et de développement qui s’effectuent hors des institutions traditionnelles», explique Timo Ohnmacht, professeur à la HSLU, en décrivant l’évolution possible.

Les exploitants des espaces de coworking peuvent donner des impulsions décisives pour créer une communauté. «On demande des rencontres informelles de la communauté, des exposés, des manifestations de réseautage avec des entrepreneurs externes, des séminaires, des événements publics», suggère Timo Ohnmacht. Les espaces de coworking exploités de cette manière peuvent devenir un «microcluster» attractif de la promotion économique locale. La NPR poursuit aussi cette approche. C’est ce que montrent déjà plus d’une douzaine d’exemples s’inscrivant dans le cadre de projets NPR. En voici une sélection: le Macherzentrum Lichtensteig (SG) , le co-working-Space Steckborn (TG), le Mountain co-working Mia Engiadina à Scuol (GR, cf. «regioS no 14»), la «Plattform Haslital» (BE), la Working Station St-Imier (BE) et le projet Interreg «GE-NetWork» (GE). Ces «microclusters» ont différents effets en amont et en aval. Car les télétravailleurs, coworkers et autres, contribuent à animer les villages et utilisent les services locaux: de la restauration aux installations de loisirs et aux artisans, en passant par le commerce de détail, la poste et le salon de coiffure, ce qui accroît encore la création de valeur ajoutée locale et l’emploi.

© regiosuisse

Espaces de coworking: pôles de développement des villages

L’économiste Jana Z’Rotz, de l’Institut d’économie régionale et d’entreprise (IBR) de la HSLU, va plus loin: «Nos études ont révélé que, dans l’espace rural, les espaces de coworking axés uniquement sur le travail sont plus difficiles à exploiter.» Elle préconise donc des espaces de travail partagés multifonctionnels, qui fournissent aussi des services culturels et sociaux. Elle souhaite que jeunes et moins jeunes utilisent ces lieux ensemble et que ceux-ci soient également des lieux de rencontre de quartier ou de village, des ateliers publics, des services d’accueil et de conseil, avec des cafés et des garderies – en bref des pôles de villages animés.

La NPR peut déjà fournir de bons exemples: le projet Swiss Escape «Co-Living/Co-Working Grimentz (VS)», le projet de développement participatif du village de Saint-Martin (VS) et la «Generationehuus Schwarzenburg» (BE). En phase de lancement, cette maison a valeur de modèle pour toute la Suisse en raison de son ampleur thématique. Elle dispose d’un espace de coworking avec atelier, de deux appartements pour colocations multigénérationnelles, d’une garderie, d’un bistrot, de différents organismes sociaux et de locaux destinés aux consultations médicales, aux manifestations, etc. La Confédération et le canton de Berne ont soutenu la phase de conception dans le cadre d’un projet NPR en versant 140 000 francs. L’organisation responsable, une société anonyme d’utilité publique, a maintenant recueilli 3,5 millions de francs par le biais de dons, en majeure partie privés, pour réaliser le concept. Actuellement, la «maison multigénérationnelle» commence à fonctionner progressivement dans une ancienne villa acquise par la société anonyme et située au milieu du village. L’offre de locaux est limitée pour l’instant car le bâtiment est soumis à une rénovation douce. «Nous serons entièrement opérationnels dès que nous pourrons nous installer dans l’immeuble que nous prévoyons de construire», explique la directrice Linda Zwahlen Riesen.

Un facteur économique sous-estimé

Il est certain que le monde du travail 4.0 accroît le potentiel des espaces ruraux ou périphériques en tant qu’espaces économiques et résidentiels. Il fait augmenter les chances d’améliorer la desserte des villages et des communes et ainsi celles de garder dans la localité la valeur ajoutée créée par les services locaux. Mais jusqu’à présent, seules quelques communes saisissent précisément ces opportunités et les exploitent systématiquement. «Il est d’autant plus important de discuter largement des possibilités, pour la politique régionale, de tenir davantage compte, dans les régions périphériques, de projets qui visent aussi à renforcer l’attractivité résidentielle dans le sens de la complémentarité entre le logement et le travail», explique Peder Plaz. Il préconise donc un changement de paradigme au sein de la promotion économique et de la NPR, auxquelles il reproche «de miser trop unilatéralement sur la création d’emplois et de sous-estimer l’importance de l’attractivité résidentielle comme argument de recrutement et facteur économique».

Olivier Crevoisier, professeur de sociologie à l’Université de Neuchâtel, dans le cadre de son étude sur l’économie «résidentielle et présentielle»4, propose par exemple d’importantes pistes de réflexion sur la direction que le développement devrait viser. Ses résultats de recherche suggèrent que le soutien fourni aux projets par la NPR devrait davantage tenir compte de l’attractivité résidentielle comme argument de recrutement et facteur économique, ainsi que des circuits économiques locaux. Cette intention se reflète aussi dans les mesures pilotes NPR 2020-2023 pour les régions de montagne.5 Ces mesures testent de nouvelles voies pour soutenir le développement économique de ces régions. Les expériences résultant de ces mesures seront intégrées dans le développement de la NPR dès 2024.

regiosuisse.ch/npr – villageoffice.chgenerationehuus.chswissescape.co

1 Un cycle sans fin – Marché immobilier suisse 2020, Credit Suisse

2 Sondage de gfs-zürich sur mandat du SECO

3 Atlas de la large bande, Office fédéral de la communication (OFCOM)

4 Crevoisier O., Segessemann A.: L’économie résidentielle en Suisse:identification et mise en perspective

5 Développement économique des régions de montagne: instruments et mesures de la Confédération – Rapport du Conseil fédéral donnant suite au postulat 15.3228 Brand du 19 mars 2015

Lichtensteig: centre pour créatifs

Lukas Denzler

Installé dans les anciens locaux de la poste de Lichtensteig (SG), le «Macherzentrum Toggenburg» s’est établi comme espace de co-working au cours des trois dernières années. Cet espace est devenu un carrefour pour les jeunes entrepreneurs et les indépendants de la région. La communication moderne et la numérisation créent de nouvelles possibilités – d’autant plus sous l’effet de la crise du coronavirus. L’initiative régionale «Ort für Macher*innen» relie enfin diverses activités de la région du Toggenburg.

Jadis bureau de poste, aujourd’hui espace de co-working : depuis son inauguration officielle en août 2018, le bâtiment imposant situé au centre de Lichtensteig (SG) met à disposition des postes de travail et des salles de conférence utilisables de manière flexible – une offre que dix personnes utilisent désormais régulièrement. Les échanges d’idées et d’expériences dans un cadre propice à l’inspiration constituent une part importante du concept. Mais fin mars 2020, l’entreprise fonctionne au ralenti comme dans tout le pays. Conformément aux exigences de la crise du coronavirus, la recherche pour cet article n’a pas été effectuée sur place, mais par téléphone et appel vidéo. Elle a révélé que ce n’est pas par hasard que cette initiative en faveur de nouvelles formes de travail a émergé à Lichtensteig.

Lichtensteig est une petite ville du Toggenburg (SG) au fier passé. Pendant des siècles cette localité, titulaire du droit municipal et du droit de tenir marché, a été le centre administratif du Toggenburg. Au cours des dernières décennies toutefois, les activités administratives régionales et le commerce de détail se sont de plus en plus déplacés vers la ville voisine de Wattwil. En raison d’un exode constant, le nombre d’habitants est tombé à moins de 2000. Autrefois pilier économique de la vallée, l’industrie textile a fermé ses portes. Des usines et des bâtiments vides attendent de nouvelles utilisations.

Vent de renouveau grâce à une stratégie communale

Les autorités communales ont identifié depuis quelques années le problème de cette spirale fatale. Le déclin était visible surtout dans la vieille ville, autrefois très animée. Pour redresser la situation, les habitants de Lichtensteig ont pris contact avec le Réseau vieille ville, une offre de conseil d’EspaceSuisse. Après une analyse approfondie, le conseil communal a élaboré en 2013 la stratégie communale «Mini.Stadt 2025» avec la population. «140 citoyennes et citoyens intéressés se sont impliqués dans le processus», se souvient Mathias Müller, qui avait été élu président de commune peu auparavant. Le processus a fait naître de nombreuses activités: après le déménagement de l’administration communale dans l’ancien bâtiment d’ubs, l’hôtel de ville s’est transformé en un lieu de culture. La Kalberhalle, où des veaux se sont vendus jusqu’en 2005, a été reconvertie en lieu de spectacles avec les associations.

Puis la poste a fermé en 2016. La commune a sauté sur l’occasion et acquis les locaux. « Nous voulions absolument rendre possibles de nouvelles activités publiques à cet endroit situé au centre », explique le président de commune. C’est à ce moment-là qu’il a lu, dans un journal gratuit, un article sur VillageOffice, une jeune organisation qui veut aussi promouvoir de nouvelles formes de travail comme le co-working en région rurale. Des contacts ont été noués : l’étincelle a jailli, des idées ont été développées. Il s’agissait de créer dans ces locaux un lieu propice à l’inspiration pour les gens qui ont des idées nouvelles ou qui veulent réaliser leurs propres projets.

Thomas Kobelt et Céline Rolli (collaboratrice des espaces de co-working) en plein travail au «Macherzentrum Toggenburg» © regiosuisse

Vu que cette idée correspondait très bien à la stratégie communale, Mathias Müller a cherché des gens prêts à la développer. Il a trouvé Tobias Kobelt, qui s’apprêtait à se mettre à son compte dans le domaine du conseil en gestion et en développement d’entreprise. «Quand on m’a posé la question, j’ai réalisé qu’il manquait assurément une offre de ce genre», se souvient Tobias Kobelt. En octobre 2017, on est parti de presque rien. Une équipe de base s’est formée peu à peu. «Pendant la première phase, nous devions sans cesse expliquer ce qu’était le co-working.» Une année et demie plus tard, le «Macherzentrum Toggenburg» était connu bien au-delà de Lichtensteig. Grâce à la location des postes de travail, la coopérative réalise maintenant un produit suffisant pour pouvoir payer le loyer usuel dans la localité ainsi que les charges.

Co-working et numérisation

En temps normal, l’offre du «Macherzentrum Toggenburg» s’étend bien au-delà de l’utilisation commune de l’infrastructure. Les contacts et une atmosphère propice à l’inspiration sont importants pour les jeunes entrepreneurs. Le « rendez-vous mensuel des créatifs », auquel sont invitées des personnalités qui parlent de thèmes liés à l’entrepreneuriat et à l’innovation, doit aussi y contribuer. «Nous souhaitons coopérer encore davantage avec des entreprises», explique Tobias Kobelt. Celles-ci pourraient par exemple sponsoriser des postes de travail de ce centre et mettre leurs employés à disposition à la journée.

Plusieurs jeunes entrepreneuses et entrepreneurs ont aménagé une place de travail fixe dans les anciens locaux de la Poste.© regiosuisse

«Ces derniers temps, de plus en plus de gens venant des petits villages de la vallée se présentent pour demander comment fonctionne l’espace de co-working», constate Tobias Kobelt. «C’est bon signe. Quelque chose commence à changer dans les esprits du Toggenburg.» L’éclosion pourrait réussir. Des offres analogues au modèle du « Macherzentrum » voient maintenant le jour dans les communes de Kirchberg, de Nesslau et de Degersheim.

Il est primordial que l’accès à l’offre soit facile – Mathias Müller en est convaincu. La première phase nécessite en outre un certain soutien et un acte de confiance de la part des autorités. «Quand on met des locaux à disposition et que l’on crée de nouvelles possibilités pour les gens, on investit toujours aussi dans ces personnes.»

Démarrer au niveau local – développer au niveau régional

Le centre pour créatifs ne reçoit pas de fonds de la Nouvelle politique régionale (NPR), car le canton de Saint-Gall a pour principe de ne pas soutenir les initiatives de co-working par le biais de la NPR. Il en va autrement pour l’initiative plus générale «Ort für Macher*innen». Celle-ci a certes son origine à Lichtensteig, mais elle vise toute la région du Toggenburg et regroupe diverses activités. Le centre accueille également sous son toit le «Rathaus für Kultur», des projets sociaux comme les «centres de rencontre pour familles du Toggenburg», la coopérative de quartier et de travail bénévole «Zeitgut Toggenburg» ainsi qu’un bureau de prospective.

La Rathaus für Kultur à Lichtensteig © regiosuisse

En 2019, le centre a posé sa candidature comme projet-modèle pour un développement territorial durable soutenu par la Confédération. Vu que ce projet ne s’est pas réalisé, le canton de Saint-Gall a laissé entrevoir un soutien dans le cadre de la NPR. La discussion à ce sujet s’est finalement focalisée sur deux thématiques, rapporte Markus Schmid (du service Promotion économique de l’Office de l’économie et du travail du canton de Saint-Gall): la première est le manque de personnel qui incite à chercher de nouvelles formes de travail (new work), des moyens de concilier la vie de famille et l’activité professionnelle (retour à la vie active, temps partiel), et à exploiter le potentiel de la main-d’œuvre âgée de 50 ans et plus (nouveaux modèles de travail, approches innovantes). La seconde thématique porte sur le développement de zones d’activités ; il existe des terrains qui s’y prêtent à Lichtensteig, par exemple une usine inoccupée. On élabore également des plans pour un atelier artisanal et créatif afin de compléter le centre pour créatifs. Les initiatives locales, suscitées en premier lieu par la stratégie communale, gagnent en dynamisme et rayonnent de plus en plus à l’échelle régionale.

regiosuisse.ch/nprlichtensteig.ch/ministadt2025macherzentrum.chortfuermacher.chrathausfuerkultur.ch familienzentren-toggenburg.chespacesuisse.ch

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Moins de trafic pendulaire grâce aux espaces de co-working

Raphaël Chabloz

Créer entre 150 et 200 lieux d’ici 2025 couvrant l’ensemble du territoire du Grand Genève et proposant près de 7000 places de travail, utilisées par environ 35 000 clients, c’était l’objectif affiché par «GE-NetWork», deuxième étape d’un projet Interreg visant à développer le télétravail et le co-working au bout du Léman. En 2014, une vingtaine de lieux étaient référencés, il y en avait plus de 50 en 2018. Cependant, ils restaient encore très largement concentrés sur la partie suisse du Grand Genève et au centre de l’agglomération. Les études réalisées lors de la première phase de ce projet montrent que la naissance de ce réseau franco-suisse permettrait de réduire de 6% les déplacements sur l’agglomération – soit près de 12 millions de déplacements annuels. Autre intérêt, dynamiser des régions périphériques. Si les «start-upers» ont déjà l’habitude du télétravail, les grandes entreprises sont encore frileuses. Leur démontrer les avantages de ces nouvelles formes de travail et les accompagner dans ce processus de transformation reste un objectif prioritaire du projet.

Plusieurs solutions sont envisagées pour que les nouveaux lieux soient viables dans les communes périphériques: des partenariats publics-privés, ou des modèles offrant des services en plus de l’offre de co-working. Du côté de collectivités publiques, plusieurs possibilités d’action existent. Les grands employeurs peuvent avoir un rôle d’exemplarité, mener des projets-pilotes. Second levier, la mise à disposition de foncier. Les communes peuvent également investir pour réduire la prise de risques, mais avec à terme l’objectif d’atteindre l’autonomie financière.

interreg.chteletravail-geneve.com«GE-NetWork» dans la base de données des projets sur regiosuisse.ch

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«Plattform Haslital»: bien plus qu’un espace de co-working

Pirmin Schilliger

La «Plattform Haslital» a été lancée par une petite équipe privée composée de huit personnes qui ont créé une association à cette fin. Après une phase de préparation et de test d’environ un an et demi soutenue par la Nouvelle politique régionale (NPR), cet espace de co-working est entré en activité le 30 mars 2019. Dix postes de travail que l’on peut louer à la journée sont à disposition dans ses locaux de Meiringen (BE). Chacun peut se connecter en toute simplicité avec son ordinateur portable pour utiliser son infrastructure bureautique moderne. L’équipement comprend un coin café, une salle de réunion et de séminaire, une vitrine pour les expositions temporaires ainsi qu’une boutique d’échange. «Pour les quelque 190 pendulaires de longue distance que nous comptons à Meiringen, le poste de co-working sur place est une alternative intéressante», souligne Daniel Studer, initiateur et président de la coopérative responsable de la «Plattform Haslital». Un biotope innovant et hautement polyvalent s’est développé dans l’environnement de l’espace de co-working, avec plusieurs start-ups comme innovenergy, une entreprise qui fabrique des batteries au sel. Des événements tels que concerts, vernissages de livres, ateliers, «repair cafés», etc. sont aussi organisés depuis la première année. La plateforme est déjà bien interconnectée avec les prestataires de services économiques et touristiques. Au-delà de son offre de postes de travail, elle entend à l’avenir asseoir dans la région son rôle d’important lieu de rencontre culturel et social.

regiosuisse.ch/nprplattformhaslital.ch «Plattform Haslital» dans la base de données des projets sur regiosuisse.ch

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