Paysage et développement régional: un défi qu’il vaut la peine de relever

Pirmin Schilliger & Urs Steiger
La beauté et la spécificité du paysage constituent un facteur économique central dans de nombreuses régions rurales ou de montagne de la Suisse mais aussi dans les agglomérations. Elles constituent la base existentielle de nombreux sites. La question qui s’impose est de savoir jusqu’à quel point ces régions peuvent se développer économiquement sans que leurs paysages ne perdent leurs qualités naturelles et architecturales. La Confédération propose un mode de gestion respectueux du paysage avec les parcs d’importance nationale. Au cours des dernières années, des projets porteurs d’avenir ont aussi été lancés dans le cadre de la Nouvelle politique régionale (NPR), des Projets modèles pour un développement territorial durable et d’autres instruments de promotion, étatiques ou privés. Mettre le paysage en valeur est toutefois une tâche exigeante qui impacte à long terme les domaines les plus divers de la vie et de l’économie.
Stefan Steuri, du Parcnaturel du Gantrisch © regiosuisse

La région du Gantrisch était un paysage peu connu il y a encore une décennie. Ceci a changé au cours des dernières années. Cette région préalpine boisée, avec les cours d’eau encaissés de la Sense et de la Schwarzwasser, la chaîne du Gantrisch et du Gurnigel, ses sites marécageux, le Schwarzsee ainsi que le paysage sauvage de la Brecca, fait partie depuis 2012 du cercle restreint des parcs naturels régionaux de Suisse, sous la marque «Parc naturel régional du Gantrisch» (RNG). Comme 18 autres régions, le RNG est soumis à l’ordonnance sur les parcs d’importance nationale (OParcs) et considéré comme une région modèle pour le développement régional durable. L’ordonnance sur les parcs permet à la Confédération de soutenir financièrement la création et la gestion de parcs dans des territoires à forte valeur naturelle et paysagère.

Offres attractives

«La création du Parc a déclenché toute une série de projets dans notre région», déclare Ramona Gloor, porte-parole du RNG. Des offres touristiques mettent aujourd’hui en valeur la région du Gantrisch comme paysage alpin d’activités de plein air, région de vélo et de VTT ou parc aventure. Une autre attraction est le Gäggersteg, passerelle rénovée récemment, depuis laquelle les visiteuses et les visiteurs observent de tout près comment la forêt s’est développée depuis la tempête Lothar de fin 1999.

Ramona Gloor qualifie la création et la gestion du Parc de «tâche exigeante». Lors des week-ends de beau temps par exemple, les sites marécageux naturels et les paysages fluviaux sauvages subissent rapidement la pression des loisirs de proximité. L’équipe du Parc naturel du Gantrisch relève ce défi par un guidage ciblé des visiteurs et avec l’appui des gardes forestiers qui aiguillent les visiteurs sur les bons chemins. Ramona Gloor conclut: «Nous ne voulons pas attirer plus de visiteurs dans la région du Gantrisch avec des offres toujours plus nombreuses. Le tourisme doit être fondé sur les principes de la durabilité et correspondre aux valeurs de notre Parc.»

Le Parc naturel en tant que marque phare

L’agriculture et la sylviculture et le commerce local bénéficient économiquement du Parc naturel. À l’heure actuelle, plus de 300 produits sont commercialisés sous le label «Parcs suisses». L’organisation du Parc est elle-même un mandant et un employeur important. Elle fonctionne en outre comme plateforme de mise en réseau pour les acteurs impliqués. «Depuis la création du Parc naturel, un vent de renouveau souffle dans notre région. Le Parc a aidé la région du Gantrisch à trouver une identité propre», constate Ramona Gloor. Cette région des Préalpes bernoises et fribourgeoises proche de la nature s’est établie comme région autonome et comme marque touristique. Elle est devenue un cas exemplaire de mise en valeur durable du paysage et de renforcement de sa qualité.

Les expertes et les experts du Centre interdisciplinaire pour le développement durable et l’environnement (CDE) de l’Université de Berne dressent ce bilan dans le rapport d’évaluation qu’ils ont rédigé à l’attention du canton de Berne, responsable du Parc. Ce rapport prouve chiffres à l’appui que le Parc contribue au renforcement et à la promotion de l’économie régionale: la valeur ajoutée touristique induite par le Parc naturel s’est élevée en 2018 à quelque 7,3 millions de francs, ce qui correspond à 87 emplois à plein temps; la valeur ajoutée supplémentaire créée à partir des produits régionaux s’est élevée à près de 9 millions de francs au cours de la période 2012-2018. Ces montants ne tiennent pas compte des prestations de revalorisation de la nature et du paysage fournies par les paysans et des organisations privées dans le Parc telles que : maintien de prairies et de pâturages (débroussaillage), entretien des haies, nouvelles plantations, entretien des sites de nidification, rénovation de murs en pierres sèches, etc. Mais les expertes et les experts voient encore un potentiel de développement économique pour le RNG, par exemple avec le bois ou la restauration.

Il est possible de dresser un bilan aussi positif pour la plupart des 18 parcs suisses d’importance nationale qui occupent ensemble plus de 5200 kilomètres carrés, soit environ un huitième de la surface du pays. Le but que la Confédération poursuit avec les parcs d’importance nationale – conserver et valoriser une nature et des paysages de qualité en harmonie avec un développement économique régional durable – coïncide en grande partie avec les objectifs de la Nouvelle politique régionale (NPR).

© regiosuisse

La Conception Paysage Suisse (CPS) comme ligne directrice

Les paysages de notre pays densément peuplé sont la plupart du temps des espaces animés, façonnés par l’homme, occupés et exploités de diverses façons: comme espaces dans lesquels la population vit, habite, travaille, se détend et s’adonne à des activités physiques, culturelles et économiques et aussi comme base territoriale de la biodiversité. Ce sont des paysages qui se sont développés au fil des siècles et qui ont été énormément transformés au cours des dernières décennies. Dans notre société marquée par la croissance de l’économie et de la mobilité, ils doivent satisfaire aux exigences les plus diverses. La Conception Paysage Suisse (CPS)1 actualisée, que le Conseil fédéral a adoptée en 2020, est la véritable ligne directrice pour une conciliation des intérêts. Elle définit le cadre d’une évolution du paysage cohérente et axée sur la qualité. La vision du Conseil fédéral est que la beauté et la diversité des paysages suisses, avec leurs particularités naturelles et culturelles régionales, offrent une qualité de vie et de site élevée aux générations tant actuelles que futures. Afin de réaliser cette vision, la CPS définit sept objectifs généraux de qualité paysagère ainsi que des objectifs sectoriels coordonnés avec ceux-ci pour les politiques sectorielles qui sont pertinentes pour le paysage. La CPS joue le rôle d’instrument de coordination des différentes lois et instruments traitant du paysage qui concernent la protection de la nature et du paysage, l’aménagement du territoire, la politique agricole, la défense nationale, la politique régionale ou le tourisme. Ainsi par exemple le développement régional doit mieux tenir compte de la diversité des paysages, et de leurs valeurs naturelles et culturelles régionales comme qualités essentielles. Une attention particulière doit être accordée à la qualité de chaque site, à ses caractéristiques uniques, et contribuer tant à leur préservation qu’à un développement économique durable.

Le canton en tant que coordinateur et pionnier

Développer des projets qui répondent aux exigences sociétales de qualité élevée du paysage, qui connaissent le succès économique et sont donc globalement durables est un défi pour leurs initiateurs. Il s’agit de définir le rayon d’action à l’intérieur duquel les charges et les produits économiques coïncident à peu près, mais aussi se retrouvent dans les multiples prescriptions, possibilités de soutien et niveaux d’action. La voie est maintenant ouverte par des exemples, des instruments et des offres de soutien couronnés de succès. Avec sa «Piattaforma paesaggio», le canton du Tessin a par exemple établi au sein de sa Section du développement territorial un service d’assistance qui coordonne les projets de ce type. Cette plateforme sert de guichet unique aux initiateurs de projets, qu’il s’agisse de communes, de corporations ou d’associations. Des expertes et des experts apportent leur aide pour le financement, conseillent et accompagnent les requérantes et requérants et les orientent vers d’autres possibilités de soutien, par exemple vers des organisations et des fondations privées. «L’engagement financier du canton est souvent une condition déterminante pour obtenir un autre soutien», explique Paolo Poggiati, président de la «Piattaforma paesaggio». De 2008 à 2018, celle-ci a traité 57 projets pour un volume total d’investissements d’environ 30 millions de francs. Surtout, elle fédère aussi les tâches de tous les services cantonaux impliqués (économie, forêt et agriculture, protection de la nature et du paysage, conservation des monuments historiques, etc.). «Les projets sont extrêmement importants surtout pour les vallées latérales et les régions de montagne reculées, souligne Paolo Poggiati. Les initiatives y ont ranimé des chaînes locales de création de valeur ajoutée et suscité de nouvelles formes de collaboration.»

Les bonnes pratiques du développement régional lié au paysage

Sur mandat de l’OFEV, PLANVAL AG a examiné les possibilités et les moyens pratiques de considérer le paysage comme un potentiel de développement régional durable, ainsi que la façon dont les régions peuvent profiter concrètement d’une thématique «paysage». Cette étude2  inclut plus de cent projets paysagers et classe leurs stratégies de mise en valeur du paysage en trois catégories: «marché» (lieu de résidence, tourisme, énergie), «compensation pour la préservation» ou «mixte» (parcs, agriculture). Elle approfondit enfin douze exemples types de Suisse dont le contenu couvre un large éventail de domaines d’activité. La mise en valeur réussit le mieux lorsque les potentiels spécifiques d’un paysage sont identifiés, exploités de manière ciblée et préservés. Dans la plupart des cas, ceci requiert l’interaction de plusieurs domaines tels que le tourisme, l’agriculture et protection de la nature. Une caractéristique centrale de ces exemples types est qu’un service veille à leur pilotage à long terme et à leur coordination. Les stratégies régionales se sont révélées très utiles à cet effet (cf. regioS 17). Pour la mise en pratique, l’étude esquisse un modèle doté de voies de développement divisibles en six phases. Elle souligne également l’orientation à long terme. Les participants font rarement l’expérience de succès rapides. Le succès exige au contraire ténacité, persévérance et patience.

© regiosuisse Basé sur: «Landschaft als Leitthema für eine nachhaltige Regionalentwicklung». Eine Analyse von Musterbeispielen. Schlussbericht. PLANVAL, sur mandat de l’OFEV. Berne, 2019.

«100 % Valposchiavo»

Le développement du paysage dans le val Poschiavo, où se déroule actuellement la deuxième étape du projet «100 % Valposchiavo», le montre de façon impressionnante. Le but de ce projet est que, d’ici 2028, toutes les paysannes et tous les paysans de la vallée non seulement cultivent leurs exploitations de manière biologique, mais aussi transforment eux-mêmes tous leurs produits – produits laitiers et carnés, farine de sarrasin, fines herbes, fruits, etc. – et les commercialisent sous la marque «100 % Valposchiavo». La région crée ainsi une chaîne de création de valeur ajoutée intégrée. Avec un franc succès: «Plus de cent produits ont déjà le certificat», déclare Cassiano Luminati, directeur du Polo Poschiavo. Depuis 2015, la plupart des restaurants de la vallée ont à leur carte des spécialités préparées exclusivement avec des ingrédients locaux. La Confédération participe aux coûts de l’étape actuelle (2021-2028) à raison de 10,7 millions de francs dans le cadre du programme des projets de développement régional (PDR) de l’Office fédéral de l’agriculture. La transformation du val Poschiavo en une «bio smart valley» innovante a été planifiée de longue date. «La vallée compte parmi les pionniers de l’agriculture biologique», rappelle Cassiano Luminati. À l’heure actuelle, 95 % de la surface agricole est déjà exploitée de manière biologique – un pourcentage unique en Suisse! L’inscription en 2008 de la ligne ferroviaire de la Bernina au patrimoine mondial de l’UNESCO a constitué une étape décisive pour le développement de la vallée. «Nous avons ensuite développé de manière participative une stratégie régionale centrée sur les ressources matérielles et immatérielles de notre région», poursuit Cassiano Luminati. L’objectif est de faire du paysage unique du val Poschiavo le fondement économique de son développement régional, en empruntant la voie d’une symbiose entre agriculture biologique et tourisme durable. La vallée se trouve au beau milieu d’un projet à long terme que la population mettra en œuvre pas à pas. À cet effet, celle-ci utilise habilement les nombreux instruments que la politique met à sa disposition. Avec son dernier projet, le projet-modèle «pérenniser les valeurs paysagères pour les générations futures», la vallée essaie de définir la voie de l’avenir à l’aide de «Perspectives 2040» communes. La mémoire historique de la vallée, la connaissance traditionnelle du paysage et les valeurs de la population locale doivent imprégner encore plus fortement les processus de développement régional.

Vue sur Poschiavo (GR, val Poschiavo) © regiosuisse

Inspiration historique

Quels que soient les instruments de promotion, environ deux tiers des projets de mise en valeur du paysage examinés dans l’étude de PLANVAL concernent le tourisme. Ce n’est pas un hasard, étant donné la densité unique de paysages attractifs en Suisse et l’évolution historique du pays. La «découverte des Alpes» par de jeunes voyageurs surtout anglais a pour ainsi dire été à l’origine du tourisme suisse. Sur le modèle du «Grand Tour» que Thomas Cook a mis sur pied pour la première fois en 1858 comme voyage organisé à travers la Suisse, le projet «Grand Tour of Switzerland» lancé par Suisse Tourisme en 2015 est centré sur la diversité paysagère. Cet itinéraire de 1640 kilomètres traverse, le plus souvent en voiture, les paysages les plus spectaculaires et les villes les plus attractives de Suisse. Il relie 5 cols alpins, 22 lacs, 12 sites classés au patrimoine mondial de l’UNESCO et 45 curiosités. Cette offre recourt aux infrastructures existantes de transport, de restauration et d’hébergement. Les seules nouveautés sont 650 panneaux indicateurs discrets et 48 cadres de photographie fixes qui entourent des éléments particuliers du paysage et invitent à les photographier. «Avec eux, nous mettons l’aspect iconographique des paysages et des localités au cœur de l’expérience», explique leur concepteur Matthias Imdorf, d’Erlebnisplan AG, qui était de la partie en tant que conseiller. Il est convaincu que la mise en valeur du paysage recèle encore «un potentiel presque infini».

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Utilité économique difficile à chiffrer

Les exemples de l’étude de PLANVAL démontrent de manière impressionnante qu’une utilisation et une gestion durables du paysage, axées sur la qualité et diversifiées, peuvent réussir à deux conditions: la connaissance des conditions-cadres légales complexes et une coordination adéquate des participants dans le sens d’une gouvernance optimale.

Dans de nombreux exemples, les avantages écologiques et esthétiques du paysage sont aussi évidents que les bénéfices immatériels tels que gain de prestige, culture de la coopération ou nouveaux réseaux socio-économiques. Un défi subsiste: faute de données, il est souvent difficile de savoir précisément quelle création de valeur ajoutée concrète il est effectivement possible d’atteindre avec des produits et des services liés au paysage. On ne peut déterminer qu’indirectement les avantages économiques que perd une région lorsqu’elle renonce à la mise en valeur du paysage. Il faut encore fournir certains travaux économiques de base sur ce point. «Il est certes possible de calculer assez précisément dans la plupart des cas l’utilité immédiate du paysage, par exemple pour l’agriculture et la sylviculture ou pour une région et une problématique concrète, mais les services culturels et touristiques du paysage sont difficiles à chiffrer globalement», constate une méta-étude3 menée par des économistes de la HES-SO Genève.

Il n’existe pas forcément de lien direct entre la valeur écologique d’un paysage, par exemple comme point chaud de biodiversité, et sa valeur économique. Un parc urbain très fréquenté est peut-être plus précieux économiquement qu’une région naturelle périphérique. Afin de chiffrer quand même la valeur et les prestations d’un paysage, l’économie du paysage se sert de méthodes indirectes, par exemple de la valeur des biens immobiliers, pour évaluer la vue sur un lac ou sur des montagnes. Une étude de l’OFEV4 de 2014 estime de cette façon la valeur récréative de la forêt suisse à deux à quatre milliards de francs par an. Une étude5 de l’EPFZ et du Réseau des parcs suisses publiée en 2018 chiffre la création de valeur ajoutée touristique à 22 millions de francs par an pour le Parc paysager de la vallée de Binn et à 106 millions pour le Parc Ela.

Globalement, les évidences en termes d’évaluation économique du paysage sont donc encore insatisfaisantes à l’heure actuelle. Mais la mesurabilité de la création de valeur ajoutée induite par le paysage serait une condition importante pour aborder de manière plus ciblée le développement régional lié au paysage. L’expert en tourisme Jürg Schmid voit surtout dans le tourisme proche de la nature des possibilités de croissance supérieures à la moyenne. Elles pourraient être exploitées sans porter atteinte à la qualité des paysages. Selon lui, «les parcs naturels régionaux et les régions inscrites au patrimoine mondial présentent l’essence de la nature suisse et de la diversité régionale. Mais il manque des offres qui donnent envie aux visiteurs et plus spécifiquement aussi des expériences destinées au marché du voyage haut de gamme qui transforment l’important potentiel en création de valeur ajoutée».

Il existe donc des potentiels, des instruments et de bons modèles pour exploiter et promouvoir la grande qualité paysagère des régions de Suisse. Ce qu’il faut surtout, ce sont des personnes engagées et endurantes, qui ont de bonnes idées, qui identifient les potentiels et qui incitent les différents prestataires à participer.

Cadre légal et instruments de promotion

Législation pertinente pour le paysage: Constitution fédérale (Cst.), loi sur l’aménagement du territoire (LAT), loi fédérale sur la protection de la nature et du paysage (LPN), ordonnance sur les parcs (OParcs), loi sur l’agriculture (LAgr), loi sur les forêts (LFo), loi sur la protection des eaux (LEaux), loi fédérale sur les chemins pour piétons et les chemins de randonnée pédestre (LCPR), loi sur la chasse (LChP), loi fédérale sur la pêche (LFSP), loi sur l’énergie (LEne), loi sur les routes nationales (LRN), loi sur les chemins de fer (LCdF), Conception Paysage Suisse (CPS), etc.

Instruments de promotion de la Confédération: Nouvelle politique régionale(NPR), politique fédérale des parcs, conventions-programmes dans le domaine de la protection de la nature et du paysage, aides financières en vertu de l’art. 13 LPN (voies de communication historiques, localités caractéristiques et conservation des monuments historiques), projets de développement régional (PDR), projets de qualité du paysage (PQP), projets-modèles pour un développement territorial durable (MoVo), promotion touristique (Innotour), Fonds Suisse pour le Paysage, etc.

gantrisch.ch

valposchiavo.ch

grandtour.myswitzerland.com

regiosuisse.ch/npr

parks.swiss

bafu.admin.ch/parcs

blw.admin.ch/pdr

regiosuisse.ch/aides-financieres

Bibliographie et informations supplémentaires

Autres articles

Faire face aux crises grâce à la résilience

Pirmin Schilliger

Les priorités de la Nouvelle politique régionale (NPR) consistent certes à renforcer à long terme le développement économique des régions et à les aider à maîtriser leurs changements structurels, sans mettre l’accent sur l’intervention de crise. Mais la crise du coronavirus offre l’occasion de soumettre la stratégie actuelle à un examen critique. Voici les questions centrales: Avec quelles mesures et quels projets les régions peuvent-elles mieux se préparer aux chocs futurs et plus généralement à des changements radicaux? Que pouvons-nous éventuellement apprendre de l’étranger? Il semble clair que les aspects de la résilience devraient à l’avenir être systématiquement intégrés à la politique régionale. Mais quelle est leur signification précise?

«Au cours des dernières années, nous avons réussi à positionner solidement notre région comme destination touristique durable, ce qui nous a certainement été favorable pendant la crise – tout comme le fait d’avoir une proportion traditionnellement élevée de clients suisses», explique Martina Schlapbach, directrice de la Regiun Engiadina Bassa/Val Müstair. Ce sont surtout plusieurs projets NPR de promotion du tourisme durable qui ont contribué à amortir les conséquences de la crise. Un constat analogue est formulé dans l’Oberland bernois au sujet de la maîtrise de la crise actuelle: Stefan Schweizer, directeur de la Conférence régionale Oberland-Ost, est convaincu que, grâce à la NPR, la région a pu «réagir globalement avec un large soutien». Il pense également à de nombreux projets NPR réalisés ces derniers temps et visant un tourisme bien diversifié. Il soulève toutefois la question de savoir dans quelle mesure on peut se préparer à une situation aussi exceptionnelle que la crise du coronavirus.

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Tirer les conclusions correctes

Si la pandémie diminuait rapidement, de sorte que l’économie puisse se redresser promptement, on pourrait la qualifier de cas isolé ou d’événement exceptionnel qui ne devrait pas être surinterprété et dont il ne faudrait pas tirer de conclusions erronées. Mais les signes de la deuxième vague indiquent une autre direction: les élus, l’économie et la société sont toujours confrontés au défi d’unir leurs forces pour maîtriser la crise et limiter au mieux les dégâts sanitaires et économiques. Il s’agit en outre d’analyser rapidement et minutieusement les effets de cet événement et d’en tirer les conséquences correctes. La question qui se pose dans le cadre de la NPR est de savoir quelles sont les faiblesses fondamentales de la structure économique régionale révélées par la pandémie. Ce processus d’analyse s’impose spécialement dans les régions qui ont particulièrement souffert des conséquences de la pandémie. Leur vulnérabilité et leur degré d’exposition aux crises devraient être examinés avec la plus grande rigueur. Les acteurs impliqués sont notamment curieux de savoir comment une région peut mieux se préparer aux chocs futurs et aux changements radicaux. Ils se demandent également s’il est possible d’atténuer dès aujourd’hui les risques et les dangers associés ou peut-être même de les transformer en opportunités.

Un futur développement régional strictement aligné sur les critères de la résilience pourrait fournir une solution. Mais que signifie cette notion? Celle-ci vient du latin «resilire», qui veut dire «sauter en arrière» ou «rebondir». La «résilience» décrit la capacité d’un système à revenir à son état initial après des perturbations. On parle depuis longtemps de résilience en psychologie. Une personne résiliente résiste aux traumatismes et reste stable psychiquement même dans les situations de crise.

Il est aussi question de résilience en économie et en écologie depuis environ deux décennies. Tout comme un individu, un système complexe peut aussi maintenir ses structures et ses fonctions stables et intactes grâce à une adaptation constante même en phase de changements violents. Ce n’est pas un hasard si cette notion a toujours la cote en temps de crise – durant la crise financière de 2008, celle de l’euro en 2015 ou maintenant celle du coronavirus. Les pionnières mondiales des stratégies de développement territorial axées sur la résilience sont les cent grandes villes qui ont rejoint en 2011 le programme international «Global Resilient Cities Network» lancé par la Fondation Rockefeller. Le but proprement dit de ce programme consiste à rendre les villes plus résistantes aux événements climatiques extrêmes et au stress environnemental.

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Un modèle et d’autres approches

Le concept de résilience connu en urbanisme a récemment fait son apparition dans le domaine du développement des régions rurales. Il en est question en Autriche au plus tard en 2010, date de parution de l’étude du bureau ÖAR Regionalberatung GmbH intitulée «Comment les régions gèrent-elles les crises?» et réalisée sur mandat de la Chancellerie fédérale autrichienne. Les chercheurs en politique régionale de ce pays sont parvenus à la conclusion que les régions résilientes empruntent l’une des trois voies d’évolution possibles en situation de détresse: soit elles surmontent la crise sans changements négatifs (voie 1), soit elles sont en mesure de compenser les changements négatifs en peu de temps (2), voire même de les surcompenser (3). Dans le meilleur des cas, elles sortent donc renforcées de la crise. Dans ce sens, la résilience est l’antidote à la vulnérabilité. En situation de crise, une région résiliente est capable de mobiliser des forces de guérison insoupçonnées. Elle trouve rapidement la bonne réponse aux menaces et aux défis. Ces trois voies d’évolution reposent sur des indicateurs sociaux, écologiques et économiques clairement identifiables et mesurables, qui incluent notamment: l’évolution démographique, la satisfaction dans la vie, les dépenses pour la culture, la qualité de l’environnement, l’exposition aux risques, la valeur ajoutée, la mixité des entreprises, les créations d’entreprises, etc. Dans son étude, ÖAR Regionalberatung GmbH a développé un modèle global de résilience. Le cheminement à suivre pour devenir une région résiliente passe par des processus conscients de pilotage, d’organisation et de compensation. Ces processus combinent le principe fondamental du développement durable avec la diversification économique et sociale, la formation et la formation continue, l’orientation vers l’avenir ainsi que l’innovation et la culture de l’erreur.

Il existe maintenant d’autres approches que le modèle de l’ÖAR, qui montrent comment la résilience pourrait être établie dans les espaces ruraux ou périphériques. Gabi Troeger-Weiss, responsable de la chaire de développement régional à l’Université technique de Kaiserslautern, fait surtout de la recherche sur les risques spécifiques aux territoires. Elle étudie la façon dont les tendances démographiques, sociales, climatologiques et économiques (comme la numérisation) pourraient influer sur la résilience future de la région. L’association Développement rural du land de Bavière a lancé en 2019 dans l’Oberallgäu un projet pilote qui a pour but d’identifier les points d’ancrage où la résilience peut être prise en compte dans le développement régional. La Resilient Regions Association, qui a créé à cet effet une plateforme politiquement neutre à Malmö (Suède), aborde ce thème avec pragmatisme. Des représentantes et des représentants de hautes écoles, de l’économie, des communes, des régions et des entreprises se rencontrent régulièrement pour résoudre des problèmes régionaux sous l’angle de la résilience.

Daniel Deimling et Dirk Raith poursuivent une approche au contenu plus large. Ces deux chercheurs en politique régionale de l’Université de Graz préconisent une vision alternative de la résilience régionale comme futur paradigme du développement régional. Ce type de résilience ne devrait pas se limiter à une simple adaptation aux crises et aux chocs externes, mais bien plutôt avoir une dimension transformatrice et viser une re-régionalisation et une relocalisation. Il faudrait rendre les régions capables de s’adapter à des conditions cadres complètement différentes. Les régions périphériques pourraient ainsi briser le cercle vicieux de l’exode et de la dégradation des conditions de vie.

Vulnérabilité et résilience
Les notions de vulnérabilité et de résilience sont devenues une catégorie centrale de plusieurs disciplines académiques depuis les années 1980. Au-delà de la discipline de la géographie, les deux termes ont fait leur apparition dans le domaine du développement territorial, surtout à propos des dangers naturels et du changement climatique. Le cœur conceptuel de la théorie de la vulnérabilité et de la résilience réside dans une double approche structurelle: la vulnérabilité résulte de risques externes auxquels un territoire ou une région est exposé(e) ainsi que d’un manque de résilience, donc d’un manque de moyens pour maîtriser les menaces. L’analyse de la vulnérabilité et de la résilience territoriales et sociales se concentre donc sur l’interaction entre l’exposition aux risques et les possibilités de maîtriser leurs conséquences autant que possible sans dommages importants lorsque ces risques se réalisent.

Wisner B., Blakie P., Cannon T.: At Risk. Natural hazards, people’s vulnerability and disasters. London, 2004.

Résilience: l’avenir du développement régional et territorial durable

En Suisse, on parle de résilience depuis longtemps surtout dans la recherche, mais aussi dans la mise en œuvre de la NPR, quoiqu’inconsciemment. «De nombreuses mesures de la NPR visent à déployer un effet durable et stabilisateur. La plupart des projets lancés jusqu’à présent contribuent au moins à la résilience, même si on n’en parlait pas explicitement», déclare Johannes Heeb, responsable du domaine formation-regiosuisse. «Il manque toutefois à ce jour une approche systématique de la question», souligne-t-il. Mais des changements sont prévus. La résilience devient aussi un thème explicite dans la NPR, notamment sous la pression de la crise du coronavirus. Avec le module de formation continue en ligne «Développer des régions résilientes», formation-regiosuisse a précisément abordé ce thème cet automne. Ce webinaire s’adressait à tous les acteurs du développement régional. Il leur a permis de se familiariser avec les bases de la résilience et de développer des approches concrètes pour l’action pratique. «Nous transposons les concepts théoriques disponibles vers le niveau pratique régional», explique Johannes Heeb. Agilité, innovation, culture d’équipe et de projet ainsi que prévention sont utilisées comme éléments opérationnels dans la gestion de la résilience. «Notre objectif, souligne Johannes Heeb, est de rendre les régions capables de réagir de façon stabilisatrice aux changements et aux crises et d’exploiter ceux-ci comme stimulateurs de l’innovation et du développement futur.»

Rendre les régions plus résilientes repose donc sur un processus complexe. Un «baromètre de la résilience» comme celui qu’a développé l’Institut Pestel de Hanovre pourrait aider les régions à ne pas devoir prendre des décisions à l’aveugle dans leur effort de résilience. Cet instrument analyse et mesure la vulnérabilité d’une région au moyen de 18 indicateurs. Il aide à évaluer jusqu’à quel point une région reste capable d’agir en cas de crise. Il montre en outre comment cette capacité d’action peut être améliorée préventivement par l’acquisition de ressources, par le capital social et la flexibilité. Développé en priorité pour les régions de l’UE, ce «baromètre de la résilience» pourrait aussi devenir – une fois adapté aux conditions suisses – un instrument très utile pour les régions NPR.

Comment rendre une région plus résiliente?
En tant qu’instrument de prévention, la résilience vise à réduire la vulnérabilité ou l’exposition aux crises d’une région ainsi que les accumulations de risques. Les stratégies suivantes y contribuent:

  • diversification de l’économie au lieu d’une monostructure – donc plusieurs branches, entreprises de différentes tailles, relations commerciales, de travail et résidentielles diversifiées;
  • ressources humaines et capital social: niveau de formation élevé et personnel qualifié largement mobilisable, structure démographique et pyramide des âges équilibrées;
  • gouvernance régionale efficiente et organisée activement, avec des stratégies d’avenir fondées sur les atouts régionaux;
  • orientation vers l’avenir et détection précoce des évolutions à long terme (ce que la NPR vise par le biais de stratégies régionales, cf. regioS 17);
  • ouverture au changement, flexibilité, agilité, capacité d’innovation, multidisciplinarité;
  • capacité d’apprendre et de coopérer, réseaux de communication denses, feed-back rapide, curiosité et ouverture.

En fin de compte, la résilience n’est pas un état visé, mais un processus qui aboutit, à l’aide d’une méthodologie spécifique, au développement durable d’une région et à une meilleure gestion des crises.

Projet-modèle dans le Haut-Valais

Le bureau de conseil EBP, en collaboration avec le Centre régional et économique du Haut-Valais SA (RWO), fournit un travail de pionnier à cet égard. Il a développé un outil d’analyse de la résilience territoriale qui repose en partie sur les concepts internationaux précités (Fondation Rockefeller, Institut Pestel, Office fédéral allemand des routes, etc.). Le projet-modèle «La résilience des régions de montagne: la mise à profit des avantages du Haut-Valais» teste maintenant cet outil pour la première fois dans des régions de montagne suisses, plus précisément dans la commune de Mörel-Filet et dans le Lötschental. «Cet outil d’analyse repose sur un questionnaire comprenant 10 thématiques, 21 sous-thèmes et 80 indicateurs que nous examinons en détail non seulement au moyen de chiffres et de statistiques, mais aussi de questions qualitatives posées aux acteurs locaux», explique le chef de projet Christian Willi. L’objectif de ce projet-modèle est d’intégrer les résultats de l’analyse de résilience dans une stratégie régionale de développement pour les communes de montagne haut-valaisannes, avec un catalogue de mesures concrètes. L’analyse est dirigée par EBP. Les mesures de la stratégie de développement sont mises en œuvre surtout avec RWO et d’autres acteurs régionaux. Ce projet fait partie des projets-modèles 2020-2024 de la Confédération pour un développement territorial durable. «Les connaissances acquises grâce à ce projet pilote peuvent aussi être exploitées pour établir une culture de la résilience dans d’autres régions», souligne Christian Willi, pour que le souci de la résilience soit à l’avenir intégré systématiquement dans l’ensemble des stratégies régionales de développement ainsi que dans les mesures et projets associés.

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Bottom-up: agir à partir de chaque région

La crise du coronavirus a brutalement révélé la vulnérabilité des régions. Elle ne correspond toutefois qu’à l’un des nombreux scénarios de crise ou de menace. La question de la minimisation des risques et de la prévention est d’autant plus urgente pour l’avenir. Martina Schlapbach, de la Regiun Engiadina Bassa/Val Müstair, est convaincue qu’il est possible de rendre plus résiliente n’importe quelle région structurellement faible. Mais elle plaide en faveur de solutions adaptées à chaque région lors de la mise en œuvre. «On devrait tenir compte du fait que la faiblesse structurelle est perçue et définie tout autrement à l’intérieur d’une région qu’à l’extérieur. La résilience doit par conséquent correspondre précisément aux besoins de la population. La stratégie de développement actuelle a en tout cas fait ses preuves pendant la crise du coronavirus, poursuit-elle. Nous avons été confortés dans l’idée de renforcer encore à l’avenir la voie empruntée.» Cela signifie que la Regiun Engiadina Bassa/Val Müstair veut miser encore plus spécifiquement sur le tourisme durable. Le développement des infrastructures numériques et des plateformes virtuelles d’échanges devrait encore améliorer les conditions-cadre nécessaires à des modèles flexibles de travail, d’habitat et de vie. «Nous voulons aussi oser des expériences, en accord avec les besoins des entreprises et de la population», ajoute Martina Schlapbach.

Stefan Schweizer estime qu’«il est toujours judicieux de travailler à renforcer les possibilités d’action d’une région en situation de crise.» Il a toutefois des doutes au sujet du rapport coût/utilité. «Chaque région doit évaluer pour elle-même si le développement stratégique et la mise en œuvre opérationnelle de la résilience sont souhaitables, et dans quelle mesure.»

Dossier thématique regiosuisse «La résilience dans le développement régional»
Comment les régions peuvent-elles devenir plus résilientes afin d’être mieux préparées aux futurs chocs et à en ressortir plus fortes? Ce dossier propose une introduction à cette thématique et aux approches possibles pour une mise en œuvre dans les régions: regiosuisse.ch/resilience

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Bibliographie

Resiliente Regionen. Zur Intelligenz regionaler Handlungssysteme. In: «Multidisziplinäre Perspektiven der Resilienzforschung», pag. 295–332. Robert Lukesch. Springer Fachmedien, Wiesbaden, 2016.

Regionale Resilienz. Zukunftsfähig Wohlstand schaffen. Dirk Raith, Daniel Deimling, Bernhard Ungericht, Eleonora Wenzel. Metropolis Verlag, 2017.

Wie gehen Regionen mit Krisen um? Eine explorative Studie über die Resilienz von Regionen. Robert Lukesch, Harald Payer, Waltraud Winkler-Rieder. Wien, 2010.

La résilience, un outil pour les territoires ? Clara Villar (Cerema) e Michel David (MEDDE/CGDD). IT-GO Rosko, 2014.

La résilience en trois actes: résistance, reset et relance.  Xavier Comtesse, Mathias Baitan.

Resilienza tra territorio e comunità, Approcci, strategie, temi e casi, Fondaziona cariplo, 21, 2015.

La resilienza territoriale: un concetto polisemico per lo sviluppo delle scienze regionali». Paolo Rizzi. Scienze Regionali, 1/2020.  

Resilienza e vulnerabilità nelle regioni europee. Paola Graziano und Paolo Rizzi. Scienze Regionali, 1/2020.

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