Stratégies régionales pour des territoires plus résilients et inclusifs
Pour un développement cohérent du territoire, les acteurs locaux coopèrent au-delà des communes. En alliant attractivité, services publics et durabilité, les stratégies régionales favorisent des territoires plus résilients et inclusifs.
Services publics et aménagement du territoire: trouver les tailles critiques dans les espaces fonctionnels
Dans son dernier rapport publié en 2024, le Conseil d’organisation du Territoire (COTER) constate qu’en comparaison avec les centres, les périphéries sont caractérisées par l’absence d’une masse critique de population et d’institutions affaiblissant le potentiel de cette dynamique d’acteurs nécessaire au développement durable. Si les grandes agglomérations peuvent s’appuyer sur leur taille critique pour mobiliser les ressources financières et humaines (ressources spécialisées et en quantité), les espaces ruraux et les régions de montagne font face à un déficit de ressources.
L’économie a fait le territoire; le territoire fait désormais l’économie
La loi sur l’aménagement du territoire (LAT) impose des collaborations régionales pour gérer les zones constructibles, impactant économiquement notamment les espaces ruraux et de montagne. Historiquement basées sur l’étalement urbain, ces régions doivent désormais miser sur un développement densifié pour attirer de nouveaux résidents. De nombreuses régions doivent miser sur un développement lié à la qualité de vie plutôt qu’à l’étalement urbain. La pendularité et le télétravail sont ainsi des opportunités. Ces résidents sont aussi des employés locaux, dans l’industrie notamment : attirer les talents nécessite désormais l’argument de la qualité de vie. Attirer des résidents et offrir des services à tous les consommateurs mobiles impose une vision stratégique transversale, pensée à l’échelle régionale. Ces visions doivent enfin intégrer les enjeux de l’agriculture, là où la valeur ajoutée territoriale contribue à la compétitivité, proposant un USP efficace, et nécessite une coordination des acteurs.
La région: l’échelle de la coordination
Au-delà des enjeux économiques – et quand bien même il peut y avoir un lien du fait de la qualité de vie – les questions de préservation de la biodiversité, de mise en valeur du paysage du patrimoine et de la culture ont connu également un mouvement de régionalisation. Touchant différents thèmes, dessinant des périmètres parfois différents, et selon des structures de gouvernance variées, la régionalisation contribue à tourner la page d’une sacro-sainte échelle communale. L’adoption d’une échelle de référence supplémentaire à celle de la commune, et la navigation au jour-le-jour dans l’intervalle, ne se fait pas sans peine : ces évolutions impliquent un changement du cadre de réflexion à l’ensemble des acteurs, de leurs habitudes, et sans doute in fine une évolution de leur identité. Il s’agit aussi de développer des synergies entre des communes-centres à caractère urbain, et des communes périphériques à caractère rural. Ainsi, les régions sont omniprésentes, sans pour autant que cette échelle repose sur une assise institutionnelle établie.
Les stratégies régionales; élaborer et mettre en œuvre
Les communes et régions développent diverses stratégies sectorielles (économie, tourisme, environnement, etc.), parfois intégrées dans des visions stratégiques globales, comme p.ex. la Stratégie pour le développement durable 2030. Cela soulève la question de leur mise en œuvre et de la coordination entre ces différentes approches.
Les projets d’agglomération ont notoirement contribué à renforcer les collaborations intercommunales et transversales (intégrant le transport et l’urbanisation) dans les zones urbaines. La Confédération a dans ce cas joué un rôle incitatif pour susciter des collaborations à une échelle fonctionnelle, basée formellement sur les questions de mobilité et d’aménagement, mais dépassant de fait ces thématiques, jusqu’à entrer dans les mœurs.
Via la Nouvelle politique régionale (NPR), les régions peuvent obtenir un soutien pour l’élaboration d’une stratégie de développement orientée vers les problématiques économiques. Dans la perspective d’un développement cohérent du territoire, dans le cadre des mesures d’accompagnement, le SECO via le fonds fédéral de la NPR a pu soutenir certains projets de nature stratégique dépassant les enjeux économiques stricto sensu (voir encadrés).
Dans le cadre du plan d’action de la mise en œuvre de la Politique des Agglomérations et de la Politique pour les espaces ruraux et régions de montagne 2024-2031, il est prévu que le programme « Processus de développement de l’espace rural (PDER) » de l’OFAG évolue de manière à gagner encore davantage en intégralité, avec la participation du SECO, au sens p.ex. de l’intégration des enjeux urbains spécifiques aux centres ruraux, et aux synergies pouvant être développées entre ces centres et les espaces ruraux stricto sensu environnants. Il sera aussi question, dans le cadre du développement de ce programme, de soutenir les régions dans leur recherche de fonds (via les politiques sectorielles cantonales ou de la Confédération) pour la mise en œuvre de projets élaborés dans le cadre de stratégies, ainsi que la coordination entre les différentes stratégies.
Entre 2020 et 2024, cinq projets-modèles visant des stratégies de développement intégrales ont développés. Ils ont articulé une approche intersectorielle et une coordination entre échelles institutionnelles, favorisant un débat politique et un changement de paradigme. Adaptés aux besoins locaux, certains projets ont privilégié l’aspect institutionnel, d’autres la cohésion sociale. Ils ont démontré que la gouvernance cantonale doit jouer un tôle dans ces dynamiques stratégiques, tout en valorisant les synergies entre institutions et acteurs locaux pour dynamiser les régions et structurer un dialogue efficace.
Projet RURALPLAN (programme ESPON, analyse ciblée)
Le projet RURALPLAN mené en 2024 a exploré des stratégies de développement rural sans croissance démographique. À Albula, des ateliers participatifs ont conçu cinq prototypes pour améliorer logement, emploi et services. Des ateliers de co-design ont été organisés pour développer des solutions. Deux autres régions, en Suède et en Norvège, ont entrepris la même démarche. Les résultats du projet ont été intégrés dans la stratégie régionale de développement d’Albula, tandis que les enseignements tirés servent aussi à alimenter des initiatives nationales de développement rural.
La région de l’Albula: des idées pour une région de montagne attractive
De nombreuses régions rurales cherchent comment façonner leur avenir. Les thèmes auxquels elles sont confrontées sont souvent liés à l’exode rural, aux emplois, à la couverture santé et à l’approvisionnement en marchandises.Comment aborder ces questions de manière durable et orientée vers l’avenir? La région de l’Albula, qui compte environ 8000 habitants, a traité ces questions dans le cadre de trois ateliers publics. Mirko Pianta, directeur général et développeur régional, raconte comment il a vécu cette démarche participative et les résultats obtenus.
«Les participants aux discussions ont apporté un large éventail d’opinions et d’idées.»
Directeur et développeur régional Mirko Pianta
Bergün @ Region AlbulaSavognin @ Region Albula
regiosuisse: Le développement régional est votre domaine d’expertise. A quels défis êtes-vous confronté dans la région de l’Albula?
Mirko Pianta: La région est située au centre des Grisons, non loin de la capitale Coire et des grandes destinations touristiques que sont la Haute-Engadine et Davos. Cela seul représente déjà un défi, sans compter bien sûr les quelque deux millions de véhicules qui traversent la région chaque année. Il serait souhaitable que nous puissions en garder une partie dans la région et en tirer un bénéfice économique. L’innovation est donc également nécessaire ici. Sa diversité culturelle rend la région de l’Albula particulièrement intéressante: les trois sous-régions qui la composent ont en effet des traditions linguistiques et culturelles différentes. Il s’agit des sous-régions de Surses, où l’on parle principalement le romanche, et des régions de l’Albulatal et de Lenzerheide, où l’on parle l’allemand et le romanche. Ces dernières sont pour la plupart autonomes sur le plan économique, notamment en raison des distances parfois importantes qui les séparent. Autrement dit, il faut trouver un dénominateur commun qui réponde aux intérêts régionaux et favorise les besoins individuels et l’autonomie. Une démarche passionnante.
En collaboration avec le Groupement suisse pour les régions de montagne (SAB), vous avez récemment organisé, dans le cadre d’un projet européen, un atelier participatif comportant deux volets. L’objectif était de trouver des idées pour améliorer encore la qualité de la région. Vingt personnes ont participé à ces débats. Quels ont été les «thèmes les plus brûlants» qui y ont été soulevés?
Le manque de logements, indubitablement. Un manque qui explique en partie le déclin démographique. Le deuxième sujet était les soins de santé et la crainte que les physiothérapeutes, psychologues et autres spécialistes, par exemple, ne quittent la région pour s’installer dans des endroits plus prospères.
Qu’est-ce qui était particulièrement nouveau pour vous?
Le besoin d’une plateforme d’information centrale ne m’avait jamais frappé à ce point auparavant. L’idée est relativement simple: il s’agit de grouper sur un même site tous les événements de la région, les offres et les cours de toutes sortes ainsi que les offres touristiques. Une telle plateforme serait un atout tant pour les habitants que pour les visiteurs. Ont également été suggérées dans ce contexte la création de lieux de rencontre créatifs ou encore l’organisation d’un marché pour la vente de produits régionaux.
Quel a été à votre avis le principal avantage de cette approche participative?
Permettre aux gens de la région de s’exprimer et de faire part de leurs idées. Cet atelier a en effet permis de recueillir un large éventail d’opinions. Ce format avait ceci de particulier que non seulement les habitants y étaient invités, mais aussi les personnes qui ont une résidence secondaire dans la région et celles qui font la navette pour venir y travailler. Ces personnes ont apporté un certain regard extérieur et nous avons pu répondre à leurs préoccupations.
Radons @ Region AlbulaLandwasserviadukt @ Region Albula
Que n’avez-vous pas pu, en revanche, atteindre par cette méthode?
Certaines questions sont très complexes puisqu’elles touchent également des aspects juridiques et politiques. Cela vaut notamment pour le domaine du logement: nous avons envisagé par exemple la possibilité de créer des coopératives d’habitation. Cela étant, notre marge de manœuvre est limitée par certaines bases légales contraignantes. Je mentionnerai ici à titre d’exemple cette disposition légale qui oblige une commune à réduire le nombre de terrains à bâtir en cas de dépeuplement continu. Comment dès lors créer de nouveaux logements dans une région qui connaît un déclin démographique?
Y a-t-il des idées ou des propositions émises lors des discussions qui ont malgré tout d’ores et déjà pu être mises en œuvre?
Oui, nous y travaillons déjà. Nous organiserons par exemple, en automne 2025, le premier salon des métiers afin de promouvoir l’attractivité des employeurs de la région. Ce salon permettra aux futurs apprentis de découvrir les formations qui y sont proposées. Nous espérons inciter par ce biais les jeunes à rester dans la région, voire même, les enfants de futurs propriétaires de résidences secondaires venir faire leur apprentissage ici. Nous souhaitons également organiser une manifestation destinée spécifiquement aux employeurs afin de leur montrer comment rendre les emplois dans les entreprises locales plus attractifs et mieux les mettre en valeur.
Quelles idées pourraient permettre d’améliorer durablement la qualité de vie et l’approvisionnement dans votre région?
Le sujet important est certainement le logement pour la population locale. L’attractivité d’une région en dépend en effet grandement, car les possibilités d’y trouver des logements permettent de lutter contre l’exode rural. Nos jeunes doivent avoir la possibilité de travailler et d’exercer une activité économique ici même. Il faut parallèlement créer des infrastructures économiques adéquates, notamment via l’aménagement du territoire et la mise en place d’un réseau.
Que souhaitez-vous, en tant que développeur régional, avoir atteint dans 10 ans dans la région?
Notre vision porte sur le long terme. Nous souhaitons par exemple atteindre une croissance démographique de 10 % d’ici 2050. Ce qui devrait donner en principe 10 % d’emplois supplémentaires. Voilà notre objectif. Les thèmes abordés lors de l’atelier et la mise en œuvre prévue nous permettent d’être optimistes. Je m’engage donc résolument sur cette voie.
Merci pour cet entretien.
Les ateliers organisés dans la région de l’Albula ont été réalisés dans le cadre du projet ESPON RURALPLAN, qui explore des stratégies de développement pour les régions rurales qui connaissent un déclin démographique. Le projet dans la région de l’Albula a été cofinancé par le programme européen ESPON (Réseau européen d’observation pour le développement territorial et la cohésion) avec des fonds de la Nouvelle politique régionale (NPR).
Podcast: «Ticino a Te» – Créer de la valeur au niveau régional, pour aujourd’hui et demain
Fin 2024, le Tessin s’est vu décerner le «Cercle régional» pour son développement d’une chaîne de valeur régionale spécifique. Le canton est en effet parvenu à ancrer avec succès des produits régionaux dans la gastronomie et l’hôtellerie locales, notamment avec les projets «Ticino a Te» et «Ticino a Tavola».Sibilla Quadri, directrice du Centre de compétences agroalimentaires du Tessin (CCAT), présente les projets dans le podcast «La région au micro». Elle y explique pourquoi il est de toute première importance de réunir tous les milieux concernés autour d’une même table et comment les projets peuvent profiter des ressources et des expériences existantes.
«Nous sommes le maillon de la chaîne de valeur des produits alimentaires tessinois.»
Tous les acteurs réunis autour d’une table
«Ticino a Te» («le Tessin pour toi») s’engagedepuis 2016en faveur de la coopération intersectorielle entre les acteurs importants de la chaîne de création de valeur, à savoir de l’agriculture, de la gastronomie, de l’hôtellerie tessinoises et de la distribution. La responsable du projet, Sibilla Quadri, insiste sur l’importance de cette mise en réseau pour toutes les parties concernées: «Nous donnons de la visibilité aux producteurs locaux, ce qui leur permet de viser une clientèle plus large. Les consommatrices et consommateurs peuvent découvrir ainsi, via notre réseau, quels produits sont fabriqués et par qui dans leur région.»
Différentes initiatives sont en cours dans le cadre de «Ticino a Te», dont «Ticino a Tavola» («le Tessin à table»), une initiative de GastroTicino et de l’Union des paysans tessinois. Il s’agit d’une collaboration avec 103 établissements de restauration tessinois. Les partenaires s’engagent à proposer systématiquement au moins un menu à trois ou quatre plats composés à 60 % de produits tessinois, les vins tessinois devant quant à eux représenter au moins 40 % de leur offre. A noter que quelque 400 000 repas sont servis chaque année dans le cadre de «Ticino a Tavola», ce qui génère 3,5 millions de francs, dont une grande partie est reversée à l’agriculture et au secteur de la transformation alimentaire tessinois.
«Connaître l’origine d’un produit pour l’apprécier davantage.»
Plus qu’une question de prix
Lorsqu’on lui demande si les produits régionaux peuvent rivaliser avec les produits industriels en termes de prix, Quadri répond: «Si un produit industriel a été fabriqué dans les mêmes conditions qu’un produit local, les prix sont souvent comparables. Je pense par exemple à l’élevage respectueux des animaux ou à la rémunération des travailleurs. Cela dit, on compare très souvent des produits qui ont été fabriqués dans des conditions complètement différentes. Je ne pense donc pas qu’ils puissent être comparés si facilement.
Pour mettre en évidence ces différences au niveau de la production, l’une des missions importantes de «Ticino a Te» est d’informer le public. C’est ainsi que «Ticino a Te» s’engage, en collaboration avec 90 cantines scolaires, à ce que les élèves puissent avoir des produits régionaux dans leur assiette. «Il est en effet important que les enfants apprennent à apprécier la valeur des produits du terroir, car ce sont eux les clients de demain», déclare Sibilla Quadri. Ce projet n’oublie pas non plus les citadins, lesquels sont également informés de l’origine de leurs aliments. «Connaître l’origine d’un produit, c’est l’apprécier davantage», résume-t-elle encore.
Un effet à long terme
Ce n’est pas un hasard si la contribution du Tessin à la chaîne de valeur régionale a été récompensée à plusieurs reprises: le jury du «Cercle régional» a particulièrement apprécié l’enthousiasme qui se dégage de « Ticino a Te » et a été impressionné par les résultats obtenus par le projet malgré des moyens financiers limités. Outre les fonds cantonaux, «Ticino a Te» a également bénéficié au départ de subventions NPR de la Confédération. À partir de la cinquième année, le Centre des compétences agroalimentaires du Tessin n’a été financé que par le canton lui-même.
Stefano Rizzi, directeur du département de l’économie du canton du Tessin, explique[MH1]: «Nous avons soutenu le Centre des compétences agroalimentaires du Tessin en tant que projet pilote de politique économique régionale. L’objectif était de mettre en réseau tous les acteurs de la région afin de promouvoir le développement de projets innovants susceptibles de valoriser la richesse de l’industrie agroalimentaire tessinoise. Compte tenu des effets positifs de cette initiative, notamment sur la compétitivité du secteur primaire, le canton a décidé de la soutenir par une contribution annuelle.»
Sibilla Quadri souligne l’importance du soutien initial: «C’est grâce aux fonds de la NPR et du canton que le projet a pu être mis sur pied. Il est important pour nous que notre travail continue à aider le Tessin à long terme – cela demande beaucoup d’efforts et surtout des ressources financières».
Le Centre de compétences agroalimentaires du Tessin (CCAT) gère, encadre et développe des projets dans le secteur agroalimentaire. Il dispose d’un vaste réseau de contacts et crée des synergies entre les projets. Grâce à l’expérience acquise dans le cadre du développement de «Ticino a Te» et à la collaboration avec le secteur de la gastronomie, un solide partenariat a été noué, qui sera utile pour d’autres projets de développement régional, notamment les PDR.
Journées lucernoises des abeilles: tout sur la chaîne de création de valeur des abeilles
Si tout le monde ou presque connaît le miel, la propolis et les bougies en cire, les abeilles et leurs produits ne se limitent pas à ça.Et c’est justement l’objectif des Journées lucernoises qui leur sont consacrées à Sempach, à savoir: présenter l’ensemble de la chaîne de création de valeur de cet insecte.Son programme prévoit un congrès de quatre jours, manifestation qui s’adresse aux spécialistes et aux acteurs économiques, ainsi qu’à la population en général, laquelle se verra proposer des informations aussi riches que variées et des produits apicoles régionaux.
L’effervescence qui régnait lors de la «Magie des abeilles» faisait penser à une ruche en pleine activité. Si la conférence de la veille s’adressait aux apiculteurs professionnels, la deuxième journée intitulée «La magie des abeilles» n’a en effet pas manqué d’attirer le grand public, jeune et moins jeune. Les quelque 600 invités ont pu découvrir à cette occasion – et de manière impressionnante – l’importance des abeilles pour notre vie, la grande diversité des thèmes qui y sont liés et la riche palette des produits apicoles. Les abeilles jouent indubitablement un rôle central en tant que pollinisateurs de plantes naturelles et utiles. Elles font partie à ce titre des animaux de rente les plus importants, leur travail de pollinisation favorisant non seulement la biodiversité, mais aussi, quoique indirectement, la richesse des espèces.
«Les Journées lucernoises des abeilles ont été un véritable succès. Cette manifestation sera reconduite l’année prochaine où nous proposerons donc à nouveau une «Magie des abeilles».
Beat Lichtsteiner, chef de projet des Journées lucernoises des abeilles
Beaucoup de choses à voir, à déguster, à essayer et à vivre lors de la «Magie des abeilles»:
colonie d’abeilles dans une vitrine en plexiglas et volière
dégustation de différents miels
cuisine et pâtisserie avec du miel ou de l’hydromel (boisson fermentée à base de miel)
dégustation de bière, d’eau-de-vie et de whisky au miel
fabrication de toiles cirées
cosmétiques et produits de santé naturels à base de produits apicoles
respirer par l’air des ruches, une thérapie pour les asthmatiques et la désensibilisation
jardins aménagés de manière naturelle
installation et entretien de ruches sauvages
Régional, durable et respectueux de l’environnement
Le concept de la «Magie des abeilles» mise particulièrement sur la présentation de produits régionaux, ce qui est tout à fait dans l’esprit du développement durable et de la sensibilisation à l’environnement. Les produits régionaux se caractérisent en effet par une consommation minimale d’énergie grise. Leur production, leur transport et leur consommation sur place ont un impact environnemental nettement moins important que les produits qui viennent de loin. Consommer des produits régionaux renforce en outre l’économie locale et soutient souvent les petites entreprises familiales.
Le concept – professionnel – d’un «Congrès pour le renforcement de la chaîne de création de valeur des abeilles» a pu être réalisé grâce au soutien financier de la Nouvelle politique régionale ainsi qu’à des financements et des prestations propres. Ce concept prévoit un développement progressif en trois phases. Cette approche permettra d’acquérir de précieuses connaissances et d’améliorer au fur et à mesure l’organisation de la manifestation. La première phase, mise en œuvre avec succès en 2024, comprenait donc l’organisation d’un congrès sur deux journées. La première journée s’adressait aux professionnels de la chaîne de création de valeur, à savoir les apiculteurs, et diffusait des connaissances approfondies à un public de spécialistes. La deuxième journée a été conçue comme une sorte de festival destiné au grand public.
Favoriser des partenariats locaux
En sus des deux journées de congrès, il est prévu d’introduire dans un deuxième temps, une troisième journée dont le but est de mettre en réseau l’économie régionale et privée avec la cohorte des apiculteurs. Il s’agit donc ici de promouvoir la coopération et d’ancrer davantage la chaîne de création de valeur dans ces groupes cibles, en vue de favoriser la création de partenariats. Cette troisième journée devrait également permettre le dialogue entre les professionnels du domaine et les acteurs politiques.
La troisième phase comprendra une quatrième journée, laquelle s’adressera aux enfants et aux écoles. L’objectif est de sensibiliser ces derniers à des thèmes tels que la biodiversité et le monde des insectes, tout en abordant les notions de durabilité et de production régionale. Des partenaires seront recherchés en temps opportun pour participer à l’élaboration de ce format.
«Grâce à la contribution de la NPR, nous avons pu mettre en œuvre cette idée rapidement et avec un haut niveau de qualité.Une contribution relativement modeste peut avoir un effet de levier important dans ce genre de projet».
Beat Lichtsteiner, chef de projet des Journées lucernoises des abeilles
Le Vacherin Mont-d’Or a retrouvé toute sa saveur régionale
Patricia Michaud
C’est l’une des fiertés vaudoises et sa production est désormais 100 % locale: depuis 2021, les embléma tiques boîtes en épicéa renfermant le Vacherin Mont d’Or sont fabriquées à la vallée de Joux. Cette relocali sation, après dix ans d’«infidélités» de l’autre côté de la frontière, renforce le poids de l’AOP du célèbre fro mage, selon les porteurs du projet.
Son goût fruité et sa texture crémeuse font de sa dégustation une expérience culinaire intense. Produit artisanalement entre la miaoût et la mimars à la vallée de Joux (VD) et au pied du Jura vaudois, le Vacherin Montd’Or est l’un des fromages romands les plus connus. Sa célébrité, ce produit la doit no tamment à la boîte ronde en épicéa qui lui sert de cocon et le rend reconnaissable au premier coup d’œil dans le rayon frais des épiceries.
À la vallée de Joux, cette spécialité fait figure de fierté régionale, au même titre que l’horlogerie et la microtechnique. Il y a vingt ans, les membres de l’Interprofession du Vacherin Montd’Or – créée en 1999 afin de sauvegarder les intérêts de ce fromage et d’en défendre la production – ont obtenu la consécration ultime: une AOP (appellation d’origine protégée). Et pourtant, durant plus de dix ans, son si caractéristique – et sympathique – emballage a dû être produit hors de la région. Et même hors du pays, en France voisine. Certes avec du bois local – la forêt du Risoud, la plus grande d’un seul tenant en Europe, se situant à proximité de la frontière – mais dans un atelier français, le seul fabricant suisse de boîtes ayant pris sa retraite en 2010.
«Les années passant, la retraite arrivait également pour ce fabricant français», rapporte Pascal Monneron, gérant de l’Interprofession Vacherin Montd’Or AOP. Se posa alors sérieuse ment la question de la pérennité de l’approvisionnement en boîtes, ainsi que de la conservation d’un savoirfaire ancestral. En 2018, le comité de l’Interprofession a nommé une commis sion chargée de plancher sur la question. Etant donné que «l’utilisation de l’image de proximité et du travail artisanal sont primordiaux pour la communication à nos consommateurs», il a été décidé de faire d’une pierre deux coups et de relocaliser la production des boîtes dans la vallée de Joux, ce afin que l’en semble de la filière du Vacherin Mont-d’Or soit assuré sur place.
Une seule société de la région, une PME nommée Boîte du Risoud, était capable de reprendre la fabrication du précieux contenant. «Elle maîtrisait déjà l’assemblage des divers composants de la boîte mais était dépendante de scieurs et de producteurs français», explique Magali Estève de la plateforme Star’Terre, qui a participé à l’accompagnement du projet de relocalisation. «L’idée centrale – qui avait d’ailleurs déjà émergé lors de l’enregistrement de ce fromage en tant qu’AOP – était que les affineurs puissent redevenir maîtres de toute la chaîne.» Parmi les principaux défis rencontrés figuraient ceux de «créer du dialogue entre les différents acteurs, de rapatrier le savoirfaire et de trouver des solutions concrètes en matière de sto ckage et de congélation». De congélation? «Oui, sinon le bois perd son humidité, donc sa souplesse.»
Devisé à près de 800 000 francs, le projet de relocalisation de la fabrication des boîtes en épicéa – via la création d’une Sàrl baptisée Valartibois – a été porté par huit des onze affineurs membres de l’Interprofession, ainsi que par la direction de l’en treprise Boîte du Risoud. Des coups de pouce financiers régio naux sont venus appuyer la démarche, notamment celui d’une fondation et du canton de Vaud. Le projet a également reçu un soutien dans le cadre des mesures pilotes NPR (Nouvelle politique régionale) en faveur des régions de montagne, ainsi que d’autres aides fédérales. Bref, un financement public-privé avec un accent fortement local, comme on en rencontre de plus en plus souvent en terre helvétique.
Patrimoine forestier valorisé
Des machines datant pour certaines des années 1940 ont été installées dans les futurs locaux de Valartibois, situés à L’Abbaye. Ou plutôt réinstallées, puisqu’elles y avaient déjà servi par le passé. Elles permettent de confectionner les quatre com posants des boîtes à fromage – le couvercle, le fond et les deux targes (ou pliures) – à partir de grumes d’épicéas provenant du périmètre de L’AOP. Ces pièces sont ensuite transportées au Brassus, où elles sont assemblées. La capacité de montage quo tidienne de cet atelier est de 6000 boîtes. Pour mémoire, le Vacherin Montd’Or a la particularité d’être conservé dans un double emballage boisé: avant d’être glissé dans son contenant, il est ceinturé d’une sangle – elle aussi en épicéa – qui lui confère son goût si particulier.
Huit nouveaux postes ont été créés afin d’assurer en flux tendu la production annuelle des quelque 700’000 boîtes, soit environ 70% des contenants renfermant les 580 tonnes d’onctueux fromage fabriquées chaque saison. Dans la foulée, 300 m3 de bois sont valorisés. Justement, lors de la cérémonie d’inauguration de Valartibois en septembre 2021, aussi bien le syndic de L’Abbaye Christophe Bifrare que la députée au Grand conseil vaudois Carole Dubois se sont réjouis de la contribution de cette entreprise à la valorisation du patrimoine forestier régional. Il a été rappelé à cette occasion que chaque minute, 1 m3 de bois pousse dans le canton de Vaud.
Certes, les fromagers doivent désormais débourser 3% de plus pour leurs écrins «made in vallée de Joux». Reste qu’en terme de marketing, ce sont non seulement les fabricants de Vacherin, mais aussi toute la région, qui profitent du retour au pays de la production des boîtes. «Cette relocalisation donne davantage de sens et de poids à l’AOP », estime Magali Estève. Par ricochet, il est possible de communiquer sur des valeurs «qui vont bien audelà du côté local, puisqu’il est question de terroir, de patrimoine, de tradition, d’histoire».
Côté finances, près de deux ans après le lancement de Valartibois, quel est le bilan? «La société ne dégage aucun bénéfice», admet Pascal Monneron. «Par contre, étant donné qu’elle est gérée par les affineurs, donc par ses propres clients, ces der niers conservent la maîtrise du prix de revient de la boîte, ce qui constitue un sérieux avantage.» Magali Estève, elle, met le doigt sur un autre avantage économique de taille qu’offre cette relo calisation. «En permettant la maîtrise de toute la filière, on a rendu la chaîne de production plus résiliente; en cas de futurs chocs, elle sera mieux à même de résister.».
Qui a piqué les plantons? Un polar sur les légumes du Seeland s’efforce de résoudre cette question. Il ne s’agit toutefois que d’une offre parmi de nombreuses autres qui font partie du nouveau projet de développement régional (PDR) mené sur les rives du lac de Morat. La Fédération PDR Légumes bios Seeland s’est donné pour mission de renforcer durablement la culture maraîchère biologique régionale.
«Nous voulons renforcer la région Jura et Trois-Lacs, et bien entendu gagner la confiance des consommatrices et des consommateurs. Mais en fin de compte, nous sommes surtout là pour les entreprises», précise Fritz Burkhalter, président de la fédération. Durant la première année du projet, celui-ci s’est concentré avant tout sur une nouvelle infrastructure, bientôt terminée, pour le traitement et la distribution des légumes bios régionaux.
Au cours des cinq prochaines années, le projet a pour but de devenir autonome grâce à la transmission de connaissances, au développement de la commercialisation et à la collaboration avec des offres touristiques. La direction du projet est certaine que les premiers mois et les années précédentes ont donné au projet un fondement solide: non seulement les coopérations avec les offres existantes sont très avancées, mais aussi les quelque trente productrices et producteurs s’identifient déjà fortement à la marque Passion Seeland. C’est de cette façon que le Seeland bernois veut pouvoir répondre à la demande croissante de produits bios dans le commerce de détail et la restauration ainsi qu’à la densité croissante de magasins à la ferme.
La phase pilote de promotion des prestations de conseil en matière de paysage soutient les communes
Jusqu’en 2024, l’OFEV propose aux communes, dans le cadre de la mise en œuvre de la Conception Paysage suisse (CPS), des prestations gratuites de conseil en matière de paysage. Leur but est d’informer les communes sur les questions de paysage, de renforcer leur sensibilisation au paysage et leurs compétences opérationnelles, ainsi que de les soutenir lors de décisions relatives à l’aménagement du territoire. Durant la phase pilote, des expertes et experts des différentes régions linguistiques mettent à disposition leurs vastes connaissances paysagères pour des prestations de conseil sur des thèmes tels que révisions de plans de zones, planification des espaces verts, etc. Grâce à ces conseils, les communes sont en mesure de mieux tenir compte du thème du paysage dans les travaux de planification et les projets. Le conseil en matière de paysage s’insère dans des options déjà établies et soutient les premiers pas en direction d’un développement du rable du paysage. Le site Internet de l’OFRV in forme sur le processus et les contacts pour accéder à ces prestations.
Les denrées alimentaires et d’agrément telles que fruits et légumes, produits laitiers, pain, viande et vin qui portent un label régional sont de plus en plus appréciées en Suisse. On doit ce succès à des milliers d’agricultrices et d’agriculteurs, de détaillants du secteur alimentaire, d’organisations privées à but non lucratif, d’intermédiaires, d’entreprises de transformation artisanales et industrielles, d’entreprises de logistique ainsi qu’aux consommatrices et aux consommateurs. Différents programmes de promotion des politiques agricole et régionale participent à ce succès. Par leur intermédiaire, la Confédération et les cantons soutiennent de nombreux projets tout au long de la chaîne régionale de création de valeur ajoutée. Le boom régional s’est désormais étendu aux offres touristiques et aux produits non alimentaires. Il pourrait encore se renforcer, d’autant plus que la production régionale durable coïncide avec les objectifs d’une économie circulaire porteuse d’avenir.
La laitue pommée du magasin Migros de Lucerne est fraîche comme une rose. Son étiquette révèle qu’elle a été cueillie aux portes de la ville. Ce légume à feuilles est l’un des quelque 18’500 produits régionaux certifiés actuellement en vente dans le commerce de détail alimentaire et sur les marchés de toute la Suisse. Ce segment est en plein boom. Les ventes de ce secteur ont augmenté de 10% par année entre 2015 et 2020 selon l’étude Produits régionaux 2022 de htp St-Gall (spin-off de l’Université de St-Gall) et de l’Institut d’études de marché LINK en collaboration avec la Haute école d’économie de Zurich (HWZ). Le chiffre d’affaires réalisé avec ces produits a probablement dépassé le seuil de 2,5 milliards de francs. «Les produits régionaux sont le secteur à plus forte croissance du domaine alimentaire», déclare Stephan Feige, coauteur de l’étude et chef du département de la HWZ Gestion authentique des marques. Cette croissance rapide reflète le succès de la stratégie de marketing des grands distributeurs Migros et Coop. Mais elle se fonde également sur l’engagement de milliers de paysannes et de paysans qui assurent le ravitaillement nécessaire au niveau de la production. «Il y a longtemps que les produits régionaux ne sont plus une niche. Du Jura au Tessin en passant par les Alpes, ou du lac de Constance au Léman, il y a partout des success stories», affirme Gabi Dörig-Eschler, directrice de l’Association suisse des produits régionaux (ASPR). Les quelque 2800 productrices et producteurs qui misent sur la marque regio.garantie de l’ASPR pour distinguer leur assortiment comme produits régionaux réalisent un chiffre d’affaires de 1,7 milliard de francs par année.
Un bleu comme point de départ
Le label Appellation d’origine contrôlée (AOC) ou protégée (AOP, depuis 2011) est considéré comme le précurseur en faveur des produits régionaux. Ce label, qui atteste l’origine géographique de certaines spécialités, a une longue histoire derrière lui. Déjà au XVe siècle, les habitantes et les habitants de Roquefort (France) ont obtenu un monopole royal pour la fabrication du bleu légendaire du Massif central. Ce produit a été protégé par décret en 1925. De nombreux pays européens appliquent maintenant le modèle français pour leurs spécialités régionales les plus célèbres. Ils les caractérisent soit par le label de qualité AOP, soit par l’IGP (Indication géographique protégée).
La coopérative Migros Lucerne a lancé en 1999 son propre programme régional avec «De la région, pour la région». D’autres coopératives Migros n’ont pas tardé à reprendre ce concept. Volg a suivi en 2005 avec «Délices du village» et Coop en 2014 avec «Ma région». Ensuite, Landi a pris le train en marche en 2016 avec «Naturellement de la ferme», Aldi en été 2022 avec «Saveurs suisses » et Lidl Suisse peu après avec «Typiquement». Plus aucun commerçant ne peut se permettre aujourd’hui de se tenir à l’écart des produits régionaux.
Les moteurs de cette évolution
Ce boom repose sur plusieurs facteurs. Voici l’explication de Stephan Feige: «La régionalité est à la mode au sein d’une partie rapidement croissante de la population. Une des raisons de cette tendance est la recherche d’authenticité et d’origine précise, aussi en réaction à la globalisation.» Les consommatrices et les consommateurs associent aux produits régionaux les valeurs de qualité et d’identité, mais aussi de durabilité écologique et sociale. Selon l’étude de la HWZ, ce sont surtout les femmes qui leur associent des caractéristiques supplémentaires telles que valeur ajoutée sociale, équité et bien-être animal. Un argument supplémentaire est la traçabilité des produits qui crée de la confiance grâce à la transparence et à la proximité avec le producteur. La boucherie Meaty, Genève et Lausanne, vend par exemple exclusivement de la viande provenant d’exploitations agricoles des environs. Le plus souvent urbaine, la clientèle peut s’informer sur l’élevage des animaux jusqu’au moindre détail via un site Internet. La régionalité rencontre une forte disposition à payer chez les consommatrices et les consommateurs. Selon l’étude de la HWZ, ils sont prêts à payer 45% de plus pour des œufs qui viennent de poules de la région. Les légumes régionaux peuvent coûter 30% plus cher, les fromages à pâte dure 20%.
Il n’est pas possible de raconter la success story des produits régionaux sans mentionner les nombreux autres acteurs de la chaîne de création de valeur ajoutée. Non seulement quelques organisations à but non lucratif, mais aussi différents programmes de promotion de la Confédération apportent un soutien décisif. L’Office fédéral de l’agriculture (OFAG) joue un rôle de leader. Il soutient des projets de développement régional (PDR) dans lesquels l’agriculture prend une part déterminante. Il promeut en outre la qualité et la durabilité dans le cadre d’une ordonnance conçue à cet effet (OQuaDu). L’OFAG soutient aussi des projets par le biais du Plan d’action national pour la conservation et l’utilisation durable des ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture (PAN-RPGAA), lancé en 1999. Il promeut enfin la conservation des ressources zoogénétiques – un programme actuel de survie pour 25 races anciennes d’animaux de rente. La promotion des produits régionaux est aussi un thème prioritaire du Secrétariat d’État à l’économie (SECO), en collaboration avec les cantons, dans le cadre de la Nouvelle politique régionale (NPR) et par le biais du programme de promotion touristique Innotour. Enfin, la Confédération vise aussi à renforcer les produits régionaux avec le label «produits» de la politique des parcs ainsi qu’avec différents projets-modèles pour un développement territorial durable. Étant donné que la création de valeur ajoutée régionale est au centre d’un bon nombre de ces programmes, les cantons cofinancent un grand nombre de ces projets à titre subsidiaire.
Projet à long terme de «marque faîtière régionale»
Depuis leur lancement, plus de mille projets ont pu bénéficier des programmes de soutien: environ 600 projets RPGAA, 200 projets NPR, plus de 100 projets PDR et OQuaDu ainsi que quelques projets Innotour et quelques projets-modèles pour un développement territorial durable. Les chiffres ne révèlent certes pas grand-chose de la qualité et de l’importance des différents projets, mais un projet soutenu par des fonds publics est dans de nombreux cas décisif pour le succès ultérieur. C’est par exemple le cas de la création d’un label régional pour le Grand Entremont en Valais: ce PDR comprend non seulement des mesures de marketing, mais aussi des investissements dans la production et la transformation de lait, de viande, de fines herbes et de miel. La gamme traditionnelle des produits de l’économie laitière régionale, avec le fromage à raclette Valais AOP, est développée et complétée par de nouvelles offres agrotouristiques. La Confédération à elle seule participe à raison de 5 millions de francs à ce projet dont la durée prévue est de six ans et le budget de 12,5 millions.
Des PDR similaires sont en cours dans d’autres régions de montagne – dans la région Loèche-Rarogne, dans le Parc naturel Beverin, dans la réserve de biosphère UNESCO de l’Entlebuch ou dans le val Poschiavo. Le point commun à tous ces PDR est une stratégie globale mise en œuvre par le biais d’un ensemble de mesures. De plus en plus souvent, celles-ci tiennent également compte de critères écologiques, comme c’est le cas du PDR «100% bio» mené dans le val Poschiavo.
Caractéristiques de l’OQuaDu et de la NPR
De temps en temps, les contenus des différents programmes de soutien peut se chevaucher. Chaque ensemble d’instruments a néanmoins son caractère unique. L’OQuaDu par exemple vise de meilleures normes de production et de qualité. Les projets correspondants sont soutenus à tous les niveaux de la chaîne concernée de création de valeur ajoutée. Certaines conditions à remplir sont d’avoir un caractère exemplaire pour toute la branche, d’améliorer les opportunités commerciales pour l’agriculture et les branches situées en aval et d’accroître la création de valeur ajoutée agricole dans la région. De nombreux produits innovants du secteur agroalimentaire doivent leur (re)naissance à l’aide initiale venant de l’OQuaDu, par exemple: soja bio, lait bio de pâturages, produits aux orties, viande de poules suisses, quinoa, truffe ou baies sauvages. Il y a en outre des projets OQuaDu axés sur les infrastructures ou la diffusion de technologies durables, par exemple l’usage de rayons UV-C pour lutter contre les champignons dans les vignes et les cultures de petits fruits.
La NPR se concentre surtout sur des mesures préconcurrentielles qui génèrent de la valeur ajoutée dans une région. Les projets phares sont les projets de mise en réseau d’acteurs, le plus souvent mis en œuvre dans le cadre d’une stratégie globale, par exemple la «Promotion des produits régionaux de l’Oberland bernois» (début du projet en 2017) ou la «Chaîne de création de valeur ajoutée des produits régionaux natürli» (2020, ZH et TG). La plateforme «food & nutrition» est également issue d’un projet NPR. Elle met en réseau toutes les personnes du canton de Fribourg qui s’intéressent à la production et à la transformation d’aliments durables. L’association responsable a aussi pour but de mettre en œuvre la stratégie alimentaire circulaire que le canton a adoptée en 2021.
Subventions pour la transformation et la commercialisation
Les programmes de soutien se concentrent sur l’agriculture, avec les domaines situés en aval. Les besoins d’investissement paraissent particulièrement importants dans le domaine de la transformation. C’est ce que révèlent des projets comme la construction des abattoirs régionaux de Klosters-Serneus ou la nouvelle installation de production de sérac de Glarner Milch AG. Cette dernière installation, un projet à 10 millions de francs achevé en 2017, comprend notamment une cave d’affinage et une fromagerie de démonstration. La Confédération a soutenu ce projet dans le cadre d’un PDR à raison de 2,17 millions de francs.
Un thème fréquent de nombreux projets est la commercialisation. Ils concernent aussi bien de nouveaux canaux numériques de promotion et de commercialisation que de la relance de canaux traditionnels. Le projet NPR «Konzept Hofladen Willisau» a été lancé en 2022. Le projet OQuaDu «Alpomat – le plus petit magasin de ferme de la ville de Zurich» a démarré en 2017. La Poste promeut aussi les canaux de distribution régionaux – numériquement et physiquement: la plateforme «Local only» permet aux productrices et aux producteurs de vendre leurs produits régionaux en ligne. La Poste prend en charge la logistique – sans courses supplémentaires puisqu’elle apporte la marchandise commandée à la porte des clients avec le courrier normal.
Presque tout serait possible avec le bois
Un fort potentiel régional sommeille dans la chaîne de création de valeur ajoutée du bois. Au cours des dernières années, plusieurs cantons ont lancé leurs propres programmes de promotion, à l’instigation notamment de la NPR et du plan d’action bois de la Confédération. Celui-ci soutient depuis 2009 des projets qui traitent de cette matière première et de sa valorisation. Un des résultats actuels de ces efforts est la Communauté d’intérêts Truberwald, fondée par des propriétaires forestiers, des agriculteurs, des forestiers-bûcherons, des charpentiers et des menuisiers, qui ont réalisé un projet phare en 2022 avec la salle de gymnastique de Trub (BE). Cette construction est fabriquée exclusivement en bois de la forêt de Trub. «Chaque baguette, chaque lambourde, même le plafond acoustique: tout est en bois régional», confie Samuel Zaugg, forestier-bûcheron et cofondateur de la CI Truberwald. Celle-ci a joué le rôle de plaque tournante de l’approvisionnement en bois. Les expériences issues de la construction de la salle de gymnastique sont maintenant intégrées dans le modèle commercial proprement dit de la CI, qui consiste à communiquer aux maîtres d’ouvrage intéressés toutes les informations logistiques et organisationnelles sur la construction avec du bois régional ou avec leur propre bois. Le véritable défi consiste à amener les consommatrices et les consommateurs à exiger systématiquement du bois suisse, souligne Samuel Zaugg, car « avec du bois, presque tout est possible aujourd’hui dans la construction ».
Le potentiel de coopération régionale entre l’agriculture et le tourisme est aussi resté longtemps inexploité. Mais pas mal de choses se sont mises en mouvement au cours des dernières années. Le programme «Genuss aus Stadt und Land» est un PDR stratégique qui a pour but, depuis 2017, de développer dans l’agglomération de Bâle de nouvelles formes de production régionale et de coopération entre agriculture, restauration, hôtellerie et détaillants. Dans la région Bienne-Seeland, un projet NPR, lancé en 2020 avec Morat Tourisme comme partenaire, allie «expériences touristiques et gastronomie régionale». L’OFAG et le SECO ont décerné pour la première fois fin 2022 le prix «Cercle régional» à la région du Jura pour ses efforts visant à mettre en place des chaînes régionales de création de valeur ajoutée à l’aide de fonds des politiques agricole, régionale et touristique.
Il ne faut pas oublier non plus le partenariat en cours depuis environ dix ans entre le Réseau des parcs suisses et Coop. La combinaison de tourisme doux, de nature et d’agriculture extensive est bien accueillie par les consommatrices et les consommateurs. Dans ses différentes régions de vente, Coop écoule chaque année davantage de spécialités des parcs régionaux.
Regard vers l’avenir
Si on veut que le boom des produits régionaux se poursuive, des efforts supplémentaires sont nécessaires à tous les niveaux de la chaîne de création de valeur ajoutée. «Il est également clair que, pour les clientes et les clients, l’achat de produits régionaux au magasin doit devenir encore plus simple à l’avenir», Stephan Feige en est convaincu. Il y voit une marge de manœuvre considérable surtout pour les petits commerces spécialisés.
Au-delà de la gamme de produits et d’offres, les critères de la durabilité sociale et écologique, de l’économie circulaire et de la biodiversité gagnent en principe de plus en plus d’importance. «Les consommatrices et les consommateurs ne regardent pas seulement l’origine régionale. Ils tiennent également beaucoup au bien-être animal, à la diversité des espèces et à l’environnement», selon Stephan Feige. Il est prévu que les programmes de soutien attachent eux aussi encore plus d’importance à ces aspects à l’avenir. C’est ainsi que la prochaine période de programmation, NPR 24+, intégrera par exemple davantage la durabilité et l’économie circulaire.
Le renforcement des circuits courts d’approvisionnement pour un système alimentaire résilient reste un élément important de l’orientation future de la politique agricole. Des systèmes alimentaires régionaux durables, de la production à la consommation, peuvent faire progresser durablement la sécurité alimentaire à long terme de la Suisse. En tant que «laboratoires de l’avenir», les régions peuvent jouer un rôle important pour un futur système alimentaire durable.
La «région» n’est pas une notion clairement définie, ni politiquement ni géographiquement. Par conséquent, les détaillants essaient de positionner leurs produits régionaux respectifs sur le marché avec leurs propres labels et selon leurs propres critères. Diverses organisations s’efforcent d’éclaircir cette jungle des labels régionaux à l’aide de directives uniformes et de faciliter l’orientation des consommatrices et des consommateurs.
Pirmin Schilliger Luzern
L’Association suisse des AOP-IGP défend les intérêts de toutes les organisations professionnelles qui commercialisent des produits régionaux sous ces labels. La différence entre les deux : pour les spécialités AOP, tout – de la matière première au produit fini en passant par la transformation – doit provenir de la région d’origine définie ; en revanche, il suffit que les spécialités IGP aient été soit produites, soit transformées, soit affinées dans la région d’origine. La liste officielle de la Suisse comprend actuellement 25 produits AOP et 16 spécialités IGP, dont de nombreuses variétés de fromages, des spécialités de saucisses et quelques eaux-de-vie de fruits, mais aussi le pain de seigle valaisan ou la tourte au kirsch de Zoug. La Suisse est affiliée au système AOP-IGP européen dans le cadre de l’accord bilatéral sur l’agriculture conclu avec l’UE. La liste de quelques centaines de produits protégés reconnus par les deux parties est régulièrement actualisée. Les tout derniers produits enregistrés pour le label de qualité AOP sont le boutefas (saucisse de porc) et le «jambon de la Borne» des cantons de Vaud et de Fribourg ainsi que l’huile de noix vaudoise. L’organe responsable de l’admission en Suisse est l’Office fédéral de l’agriculture (OFAG), qui coordonne aussi le registre avec l’UE.
ProSpecieRara: une pionnière
La Fondation ProSpecieRara (PSR), qui célèbre justement son 40e anniversaire, fait partie des véritables pionnières régionales de Suisse. Son principal mérite est d’avoir permis de sauver de la disparition 38 races rares suisses d’animaux de rente – de la poule appenzelloise huppée à la chèvre bottée – et environ 4800 variétés de plantes utiles et ornementales. PSR collabore avec un grand nombre d’agricultrices et d’agriculteurs, avec l’OFAG, la Haute école zurichoise de sciences appliquées, Wädenswil (ZHAW), des organisations d’utilité publique et le commerce de détail. PSR fait en outre office d’interface avec la SAVE Foundation, qui s’engage en faveur de la préservation de la biodiversité à l’échelle européenne.
La chaîne de création de valeur ajoutée «viande de cabri bio Pro Montagna» est un exemple d’utilisation commerciale réussie de «essources zoogénétiques animales». Ses participants sont des paysans de montagne grisons, la Fédération suisse d’élevage caprin, la boucherie Zanetti de Poschiavo (GR) et Coop. Un autre projet de PSR avec Coop comme partenaire porte le nom de «Simmentaler Original». Résultat de la coopération avec PSR: plus de cent variétés traditionnelles de plantes cultivées menacées de disparition se trouvent dans les rayons de Coop, par exemple une variété de panais, un légume très répandu en Europe centrale. La plateforme tomates-urbaines permet également aux jardinières amatrices et aux jardiniers amateurs d’acheter chez Coop des graines de tomates, de piments et de salades rares et de les faire pousser sur leur propre balcon.
Efforts de coordination
Les principaux membres de l’Association suisse des produits régionaux (ASPR), créée en 2015, sont les quatre organisations de commercialisation alpinavera (avec des produits régionaux des cantons des GR, d’UR, de GL et du TI), Culinarium (Suisse orientale), Les délices de la région (Suisse centrale et du Nord-Ouest, JU, BE, SO) et regio.garantie Romandie (Suisse romande et Jura bernois). En qualité d’organisation faîtière, l’ASPR représente plus de 18 500 produits régionaux de toute la Suisse qui portent le label regio.garantie. L’ASPR se concentre sur des standards de qualité uniformes définis selon des directives claires et assure une mise en œuvre impeccable. Suivant ces règles, au moins deux tiers de la création de valeur ajoutée ainsi que les étapes de production et de transformation qui déterminent les caractéristiques du produit doivent notamment avoir lieu dans la région concernée.
Malgré tous les efforts de coordination de l’ASPR, il existe toujours plusieurs labels qui caractérisent la régionalité: Migros le fait avec sa propre étiquette régionale, qui mentionne souvent aussi le nom de la productrice ou du producteur ; Coop en revanche n’appose généralement son label régional que sur les rayons, tout en affirmant que «tous les ingrédients agricoles régionaux et tous les produits doivent être traçables jusqu’au lieu d’origine».
Selon l’étude Produits régionaux 2022 de la Haute école d’économie de Zurich (HWZ), les consommatrices et consommateurs souhaitent en tout cas savoir de quelle région proviennent les matières premières, où elles sont transformées et quel trajet elles ont parcouru. «Or tout cela n’est de loin pas toujours clair avec les labels actuels», constate Stephan Feige, coauteur de l’étude. Dans la pratique, les détaillants définissent à leur guise des critères importants, tels que le périmètre régional. Ils espèrent la confiance de leurs clientes et clients, non sans raison. «Si l’emballage porte la mention ‹ régional ›, la clientèle s’y fie en général», estime Stephan Feige. Personne ne souhaite en outre devoir se débattre devant les rayons avec des directives de plusieurs pages sur chaque label.
Conclusion: Le dénominateur commun des marques régionales se limite au fait que la marchandise à vendre peut-être associée à une région donnée. Mais les prescriptions et les critères plus précis selon lesquels se fait cette attribution diffèrent d’un label à l’autre. La définition de la région elle-même reste extensible: c’est ainsi que le règlement Coop de «Ma région» complique sa formulation: «Une région est un territoire géographiquement défini, de dimension moyenne, c’est-à-dire entre le niveau local ou communal et le niveau national, considéré comme homogène et que l’on peut donc différencier d’autres territoires en fonction de caractéristiques données.» Caspar Frey, le porte-parole de Coop, essaie de montrer clairement que Coop suit les directives de l’ASPR en ce qui concerne la création de valeur ajoutée et les étapes de production et de transformation. Cette remarque est aussi valable pour Migros, bien que ces dispositions «limitent parfois beaucoup la disponibilité des produits régionaux au quotidien», selon sa porte-parole Carmen Hefti.
Stephan Feige explique: «Il y a la notion «régional», synonyme de «qui est d’ici»: dans ce cas, le consommateur veut aller chez le producteur du coin. Mais il existe également des produits régionaux comme le saucisson vaudois ou les Läckerlis de Bâle qui sont perçus comme des spécialités régionales célèbres non seulement sur place, mais aussi dans tout le reste de la Suisse.» Une définition standard de la régionalité sous un label unique ne tiendrait guère compte de ce genre de différences et du caractère des divers produits, fait encore remarquer Stephan Feige. Il serait donc peu judicieux, pour des produits transformés tels que le vin, le fromage à pâte dure, les biscuits ou une saucisse fumée connue bien au-delà de sa région d’origine, d’appliquer les mêmes critères régionaux que pour des légumes frais ou des œufs des environs immédiats.
Il n’est pas étonnant que l’on n’ait pas réussi à ce jour à éliminer ce dilemme de définition, bien qu’il désoriente passablement les consommatrices et les consommateurs. «Tout le monde doit être prêt à se conformer à un ensemble de règles nationales et uniformes», souligne Gabi Dörig-Eschler, directrice de l’ASPR, en ajoutant que «la crédibilité de notre réglementation est la base essentielle du succès».
Les produits régionaux: une niche robuste qui a encore un potentiel de croissance
Pirmin Schilliger & Urs Steiger
Qu’y atil derrière le succès des produits régionaux? Quelles sont leurs perspectives d’avenir? Ces deux questions et bien d’autres ont été discutées lors de la table ronde de «regioS» par une experte et deux experts: Eliane Kern, responsable de la communication et des événements de «Feld zu Tisch», une plateforme B2B de commercialisation de produits régionaux dans la région de Bâle; Peter Sta delmann, responsable des produits régionaux de la réserve de biosphère unesco de l’Entlebuch; et Urs Bolliger, directeur et responsable des marchés de Culinarium, association responsable de la marque «regio.garantie» en Suisse orientale.
Les taux de croissance élevés des produits régionaux au cours des dix dernières années témoignent d’une success story impressionnante. Quelle est la contribution des canaux de soutien de la Confédération à ce succès: Nouvelle politique régionale (NPR), projets de développement régional (PDR), politique agricole ou promotion touristique d’Innotour?
Eliane Kern: Le soutien de l’OFAG au projet de développement régional (PDR) «Genuss aus Stadt und Land» est aussi déterminant pour la mise sur pied de «Feld zu Tisch».
Peter Stadelmann: La réserve de biosphère de l’Entlebuch fait d’abord partie de la politique des parcs, laquelle relève de la compétence de l’Office fédé ral de l’environnement (OFEV). Celuici n’aide certes pas les parcs à développer des produits, mais nous bénéficions aussi d’aides fédérales, par le biais des canaux de soutien de l’ofAG précités. Le soutien d’un PDR pour monter la plate forme de commercialisation Biosphäre Markt AG destinée à la région est particulièrement important. Sans l’aide éta tique, il n’aurait guère été possible de mettre cette organisation sur pied et de la positionner sur le marché.
Quel est à ce jour votre plus grand succès régional?
Eliane Kern: Au cours des deux dernières années, nous avons réussi à construire un réseau dans la région de Bâle, notamment avec un format que nous appelons «speed dating» pour la vente directe régionale. Avec ce format, des productrices et des producteurs ainsi que des acheteuses et des acheteurs se rencontrent et font connaissance, de sorte que les relations commerciales directes s’établissent presque automatiquement. C’est à cette occasion par exemple que le magasin Lokal de Bâle, qui fait le com merce de produits régionaux, rencontre une productrice de tempeh de Liestal ou un producteur de pois chiches de Wens lingen, pour ne citer que deux exemples des nombreuses relations commerciales directes. Les tables rondes que nous orga nisons régulièrement pour perfectionner nos idées et nos outils rencontrent aussi un vif intérêt. En dialoguant avec les pro ducteurs et les acheteurs, nous prenons connaissance de leurs besoins immédiats, par exemple en matière d’exigences tech niques, et pouvons ensuite cibler d’autant mieux notre action.
Peter Stadelmann: Du point de vue de la réserve de biosphère de l’Entlebuch, la création de Markt AG constitue l’étape la plus importante des dernières années. Pour les producteurs régionaux, cette organisation est devenue un sésame déci sif pour faire affaire avec les grands distri buteurs. Un service centralisé est essentiel pour générer des ventes dans ce domaine. En fin de compte, les grands distributeurs ne souhaitent pas devoir négocier indivi duellement avec chaque fromager et chaque boucher. Le seuil d’accès à la col laboration s’abaisse nettement lorsqu’il y a un seul interlocuteur pour toute la région. À côté de ce succès plutôt organi sationnel, plusieurs autres réussites liées à un produit me viennent à l’esprit. Je pense par exemple au pur épeautre, que nous avons commencé à cultiver il y a 14 ans à l’initiative d’un transformateur. Depuis lors, cette culture est florissante dans la région, surtout parce que tous les ache teurs – donc le meunier, le boulanger, le fabricant de pâtes – et les consomma trices et consommateurs finaux sont prêts à payer le supplément que nécessitent tout simplement les coûts de production plus élevés à notre altitude.
Urs Bolliger: L’élément central et décisif de notre success story est la colla boration avec Migros, qui a lancé le pro gramme « De la région, pour la région» il y a déjà des années. Nous collaborons avec Migros Suisse orientale depuis 2003, tout comme les membres de notre organisa tion faîtière collaborent, au sein de l’Asso ciation suisse des produits régionaux (AsPR), avec les autres coopératives Migros de toute la Suisse. Je considère comme une étape très importante le fait que Migros ait défini la régionalité avec nous et que les directives soient respectées par tous les participants. Quand on regarde les statistiques des chiffres d’affaires, Migros est définitivement le véritable moteur des ventes avec son programme « De la région, pour la région».
Malgré tous les succès, vous avez aussi dû apprendre certaines choses à vos dépens. Dans quel domaine par exemple?
Urs Bolliger: La collaboration avec la restauration est plus difficile qu’avec le commerce de détail. La restauration a vraiment été bouleversée par toute l’his toire du coronavirus. Elle est en outre soumise depuis longtemps à une vio lente pression sur les prix, de sorte que nous nous creusons la tête sur la manière dont nous pourrions collaborer avec des charges acceptables. On trouve certes des restaurants qui travaillent beaucoup avec les produits régionaux depuis assez longtemps. Mais il y a mal heureusement un grand nombre d’éta blissements qui essaient de donner l’im pression par le biais de leur carte qu’ils misent un peu sur les produits régionaux. Si on y regarde de plus près, la plupart des offres sont tout sauf régionales.
Eliane Kern: La question de savoir comment nous pourrions mieux colla borer avec la restauration nous occupe aussi dans la région de Bâle. En outre, nous avons dû beaucoup apprendre à nos dépens lors du développement du logiciel pour notre plateforme B2B. Nous imaginions que ce serait plus simple et espérions pouvoir recourir à une solu tion existante. Nous nous retrouvons maintenant à devoir promouvoir un développement interne au niveau natio nal, donc une solution open source qui puisse également être utilisée par des porteurs de projets analogues. La durabilité et les coûts relativement élevés de la micrologistique alimentaire nous donnent aussi du fil à retordre.
Monsieur Stadelmann, où se si- tuent les obstacles dans l’Entlebuch?
Peter Stadelmann: Pour que la création de Markt AG ne devienne pas un obstacle, il a fallu de nombreux entre tiens et beaucoup de tact. Nous avons par exemple dû gagner à notre cause les fro mageries, qui avaient jusquelà agi en toute autonomie et créé leur propre petite marque. Cela signifiait que chaque fromagerie devait confier une grande part de la responsabilité com merciale à la nouvelle organisation, Markt AG, qui a ensuite repris la coordi nation et la vente. Ce changement est un processus long et difficile lors duquel tout ne fonctionne pas sans accroc. Notre présence commune signifie que l’entreprise individuelle doit mettre sa propre marque de côté et qu’elle doit soudain collaborer en matière de com mercialisation avec des entreprises qu’elle percevait jusqu’alors surtout comme des concurrentes.
Le fonctionnement avec la restauration est-il meilleur dans l’Entlebuch que par exemple en Suisse orientale ou à Bâle?
Peter Stadelmann: Non, travailler avec la restauration est aussi très pénible dans l’Entlebuch. La guerre des prix est violente et les nombreux petits producteurs de notre région ne par viennent pas toujours à couvrir la demande, par exemple lors de grands banquets. La disposition des restaura teurs et des clients à utiliser l’animal entier au lieu de ne manger que des steaks et des escalopes est en outre limi tée. Il faut en général une révision des conceptions pour qu’un bas morceau régional se retrouve parfois à la carte.
Eliane Kern: La sensibilité aux prix est effectivement déterminante dans la restauration pour décider où on achète en fin de compte les denrées ali mentaires. À cela s’ajoutent des critères comme la praticité et l’efficience du marché. Quels sont les cycles de livrai son? Quelle durée s’écoule entre la com mande et la livraison? Quelle est la dis ponibilité de l’offre? Avec quelle fiabilité et quelle efficience la chaîne d’approvi sionnement fonctionnetelle? Nous pouvons certes garantir pas mal de choses sur notre marché B2B, mais nous devons concéder que certains défis sont plus faciles à relever par un commerce plus grand que par une micrologistique.
Existe-t-il des solutions judi- cieuses pour ces cas?
Urs Bolliger: On ne doit pas perdre de vue les relations. Les produits régionaux font certes l’objet d’un matra quage médiatique, mais les clients qui les demandent explicitement au restau rant restent une minorité. Nous parlons d’une part de marché totale des produits régionaux située entre 5 et 10 % sur l’en semble des canaux de vente. J’ai déjà observé plusieurs fois un phénomène sem blable avec le bio. Quand on demande au consommateur moyen: «Quelle est à votre avis la part du bio dans les ventes?», la réponse est «certainement 50% ». En réalité, la part de marché des produits bios se situe entre 15 et 18%. La percep tion du consommateur ne correspond pas à sa consommation effective. Je le remarque surtout lorsque je discute avec des boucheries qui ont aussi un service traiteur. Il semble certes souhai table d’avoir des produits régionaux dans cette offre, mais pratiquement per sonne n’est prêt à réclamer explicite ment la régionalité. Nous devons nous rendre compte que nous occupons une niche avec la régionalité. La solution devrait consister à se concentrer sur cette niche et à essayer d’y travailler avec succès à l’aide de concepts fiables. Mais nous ne pouvons pas nous attendre à ce que les arbres poussent jusqu’au ciel.
Les produits régionaux n’ont-ils donc que peu de chances sur le marché de masse?
Urs Bolliger: La bonne collabora tion avec Migros montre que nous pou vons tout à fait marquer des points dans le commerce de détail, tant en qualité qu’en quantité. Nous parlons ici d’un chiffre d’affaires d’environ un milliard de francs que Migros réalise mainte nant chaque année par le canal «De la région, pour la région». Or nous colla borons également avec d’autres détail lants. Le dernier exemple est Aldi Suisse avec la marque «Saveurs suisses». Nous sommes actuellement en pourparlers avec d’autres détaillants, et des possibi lités de vente supplémentaires se des sinent dans d’autres domaines. C’est ainsi que les cff ont remis au concours cette année l’exploitation de leurs quelque 4000 automates, à condition qu’au moins 10% des articles soient des produits régionaux. Le résultat est qu’un grand exploitant d’automates qui a reçu l’adjudication des cff pour les prochaines années nous a contactés. Il existe donc de nouveaux canaux de vente par lesquels encore davantage d’authenticité régionale peut parvenir au consommateur.
Madame Kern, comment évaluez- vous les possibilités de conquérir un marché plus large?
Eliane Kern: Nous cherchons actuellement le contact très ciblé avec la restauration collective. Réussir à accroître les ventes au niveau souhaité dans ce segment dépend toutefois de l’extension de notre infrastructure de production. On demande dans ce cas des produits préparés et donc plus commodes. Nous procédons à une mise en œuvre pro gressive et essayons de découvrir au moyen d’analyses de marché ce qui peut vraiment fonctionner.
Comment la réserve de biosphère de l’Entlebuch se positionne-t-elle sur ce marché plus large?
Peter Stadelmann: Si nous avions la recette pour conquérir le marché de masse avec les produits régionaux, je ne la dévoilerais pas. En fin de compte, notre travail consiste à ramer constam ment avec de petits projets. Le canton de Lucerne, centré jusqu’à présent sur l’élevage, lance depuis peu une cam pagne en faveur du bio et une offensive pour les cultures spéciales. Nous cher chons actuellement la collaboration dans ce domaine, tout en ayant conscience qu’il y règne une concur rence acharnée. De mon point de vue, il est essentiel d’essayer de placer au bon endroit sur le marché les produits parti culiers qu’une région peut proposer. L’Entlebuch est constitué d’herbages en zone de montagne 1 ou plus haute: nous sommes soumis à de fortes limitations en termes de diversité et de productivité. Il me semble d’autant plus important de penser à accroître encore la qualité plutôt que la quantité. Nous devons nous dé marquer avec nos produits régionaux de façon à être uniques à tous égards.
Les consommatrices et les consom- mateurs s’imaginent que «régional» est synonyme de circuits courts, de durabi- lité, de produits sains et souvent encore bios. Les productrices et les producteurs peuvent-ils répondre à ces attentes?
Urs Bolliger: Selon des sondages, les consommatrices et les consomma teurs n’attendent pas forcément du pro duit régional qu’il soit aussi «bio». C’est néanmoins un fait que le consomma teur voit parfois dans les produits régio naux des arguments positifs qui n’y sont pas. Les produits régionaux jouissent en principe d’une confiance très élevée, ce qui nous oblige au plus grand soin. Les prestations écologiques requises (PER), telles qu’elles sont stipulées en détail dans les directives sur les marques régionales, sont déterminantes pour les critères de qualité de tous les produits regio.garantie.
Eliane Kern: Nous constatons que certains produits régionaux sont expé diés à l’échelle nationale. Cela ne signi fie pas forcément que ces produits sont moins durables, car d’autres critères, tels que réfrigération, pèsent beaucoup plus lourd dans un bilan CO2 que les kilomètres parcourus. Nous travaillons néanmoins à nous améliorer dans tous les domaines de la durabilité. Cet aspect est et reste un défi important qui requiert un changement de système, lequel ne se produira pas simplement d’un jour à l’autre.
Le numéro 15 de «regioS» avait parlé du projet AlpFoodway, qui se consacre depuis 2016 au patrimoine alimentaire alpin de six pays. Le but de ce projet est de créer une base pour que ce patrimoine soit intégré au patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO.
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