Sommaire
- Offres attractives
- Le Parc naturel en tant que marque phare
- La Conception Paysage Suisse (CPS) comme ligne directrice
- Le canton en tant que coordinateur et pionnier
- Les bonnes pratiques du développement régional lié au paysage
- «100 % Valposchiavo»
- Inspiration historique
- Utilité économique difficile à chiffrer
- Cadre légal et instruments de promotion
La région du Gantrisch était un paysage peu connu il y a encore une décennie. Ceci a changé au cours des dernières années. Cette région préalpine boisée, avec les cours d’eau encaissés de la Sense et de la Schwarzwasser, la chaîne du Gantrisch et du Gurnigel, ses sites marécageux, le Schwarzsee ainsi que le paysage sauvage de la Brecca, fait partie depuis 2012 du cercle restreint des parcs naturels régionaux de Suisse, sous la marque «Parc naturel régional du Gantrisch» (RNG). Comme 18 autres régions, le RNG est soumis à l’ordonnance sur les parcs d’importance nationale (OParcs) et considéré comme une région modèle pour le développement régional durable. L’ordonnance sur les parcs permet à la Confédération de soutenir financièrement la création et la gestion de parcs dans des territoires à forte valeur naturelle et paysagère.
Offres attractives
«La création du Parc a déclenché toute une série de projets dans notre région», déclare Ramona Gloor, porte-parole du RNG. Des offres touristiques mettent aujourd’hui en valeur la région du Gantrisch comme paysage alpin d’activités de plein air, région de vélo et de VTT ou parc aventure. Une autre attraction est le Gäggersteg, passerelle rénovée récemment, depuis laquelle les visiteuses et les visiteurs observent de tout près comment la forêt s’est développée depuis la tempête Lothar de fin 1999.
Ramona Gloor qualifie la création et la gestion du Parc de «tâche exigeante». Lors des week-ends de beau temps par exemple, les sites marécageux naturels et les paysages fluviaux sauvages subissent rapidement la pression des loisirs de proximité. L’équipe du Parc naturel du Gantrisch relève ce défi par un guidage ciblé des visiteurs et avec l’appui des gardes forestiers qui aiguillent les visiteurs sur les bons chemins. Ramona Gloor conclut: «Nous ne voulons pas attirer plus de visiteurs dans la région du Gantrisch avec des offres toujours plus nombreuses. Le tourisme doit être fondé sur les principes de la durabilité et correspondre aux valeurs de notre Parc.»
Le Parc naturel en tant que marque phare
L’agriculture et la sylviculture et le commerce local bénéficient économiquement du Parc naturel. À l’heure actuelle, plus de 300 produits sont commercialisés sous le label «Parcs suisses». L’organisation du Parc est elle-même un mandant et un employeur important. Elle fonctionne en outre comme plateforme de mise en réseau pour les acteurs impliqués. «Depuis la création du Parc naturel, un vent de renouveau souffle dans notre région. Le Parc a aidé la région du Gantrisch à trouver une identité propre», constate Ramona Gloor. Cette région des Préalpes bernoises et fribourgeoises proche de la nature s’est établie comme région autonome et comme marque touristique. Elle est devenue un cas exemplaire de mise en valeur durable du paysage et de renforcement de sa qualité.
Les expertes et les experts du Centre interdisciplinaire pour le développement durable et l’environnement (CDE) de l’Université de Berne dressent ce bilan dans le rapport d’évaluation qu’ils ont rédigé à l’attention du canton de Berne, responsable du Parc. Ce rapport prouve chiffres à l’appui que le Parc contribue au renforcement et à la promotion de l’économie régionale: la valeur ajoutée touristique induite par le Parc naturel s’est élevée en 2018 à quelque 7,3 millions de francs, ce qui correspond à 87 emplois à plein temps; la valeur ajoutée supplémentaire créée à partir des produits régionaux s’est élevée à près de 9 millions de francs au cours de la période 2012-2018. Ces montants ne tiennent pas compte des prestations de revalorisation de la nature et du paysage fournies par les paysans et des organisations privées dans le Parc telles que : maintien de prairies et de pâturages (débroussaillage), entretien des haies, nouvelles plantations, entretien des sites de nidification, rénovation de murs en pierres sèches, etc. Mais les expertes et les experts voient encore un potentiel de développement économique pour le RNG, par exemple avec le bois ou la restauration.
Il est possible de dresser un bilan aussi positif pour la plupart des 18 parcs suisses d’importance nationale qui occupent ensemble plus de 5200 kilomètres carrés, soit environ un huitième de la surface du pays. Le but que la Confédération poursuit avec les parcs d’importance nationale – conserver et valoriser une nature et des paysages de qualité en harmonie avec un développement économique régional durable – coïncide en grande partie avec les objectifs de la Nouvelle politique régionale (NPR).
La Conception Paysage Suisse (CPS) comme ligne directrice
Les paysages de notre pays densément peuplé sont la plupart du temps des espaces animés, façonnés par l’homme, occupés et exploités de diverses façons: comme espaces dans lesquels la population vit, habite, travaille, se détend et s’adonne à des activités physiques, culturelles et économiques et aussi comme base territoriale de la biodiversité. Ce sont des paysages qui se sont développés au fil des siècles et qui ont été énormément transformés au cours des dernières décennies. Dans notre société marquée par la croissance de l’économie et de la mobilité, ils doivent satisfaire aux exigences les plus diverses. La Conception Paysage Suisse (CPS)1 actualisée, que le Conseil fédéral a adoptée en 2020, est la véritable ligne directrice pour une conciliation des intérêts. Elle définit le cadre d’une évolution du paysage cohérente et axée sur la qualité. La vision du Conseil fédéral est que la beauté et la diversité des paysages suisses, avec leurs particularités naturelles et culturelles régionales, offrent une qualité de vie et de site élevée aux générations tant actuelles que futures. Afin de réaliser cette vision, la CPS définit sept objectifs généraux de qualité paysagère ainsi que des objectifs sectoriels coordonnés avec ceux-ci pour les politiques sectorielles qui sont pertinentes pour le paysage. La CPS joue le rôle d’instrument de coordination des différentes lois et instruments traitant du paysage qui concernent la protection de la nature et du paysage, l’aménagement du territoire, la politique agricole, la défense nationale, la politique régionale ou le tourisme. Ainsi par exemple le développement régional doit mieux tenir compte de la diversité des paysages, et de leurs valeurs naturelles et culturelles régionales comme qualités essentielles. Une attention particulière doit être accordée à la qualité de chaque site, à ses caractéristiques uniques, et contribuer tant à leur préservation qu’à un développement économique durable.
Le canton en tant que coordinateur et pionnier
Développer des projets qui répondent aux exigences sociétales de qualité élevée du paysage, qui connaissent le succès économique et sont donc globalement durables est un défi pour leurs initiateurs. Il s’agit de définir le rayon d’action à l’intérieur duquel les charges et les produits économiques coïncident à peu près, mais aussi se retrouvent dans les multiples prescriptions, possibilités de soutien et niveaux d’action. La voie est maintenant ouverte par des exemples, des instruments et des offres de soutien couronnés de succès. Avec sa «Piattaforma paesaggio», le canton du Tessin a par exemple établi au sein de sa Section du développement territorial un service d’assistance qui coordonne les projets de ce type. Cette plateforme sert de guichet unique aux initiateurs de projets, qu’il s’agisse de communes, de corporations ou d’associations. Des expertes et des experts apportent leur aide pour le financement, conseillent et accompagnent les requérantes et requérants et les orientent vers d’autres possibilités de soutien, par exemple vers des organisations et des fondations privées. «L’engagement financier du canton est souvent une condition déterminante pour obtenir un autre soutien», explique Paolo Poggiati, président de la «Piattaforma paesaggio». De 2008 à 2018, celle-ci a traité 57 projets pour un volume total d’investissements d’environ 30 millions de francs. Surtout, elle fédère aussi les tâches de tous les services cantonaux impliqués (économie, forêt et agriculture, protection de la nature et du paysage, conservation des monuments historiques, etc.). «Les projets sont extrêmement importants surtout pour les vallées latérales et les régions de montagne reculées, souligne Paolo Poggiati. Les initiatives y ont ranimé des chaînes locales de création de valeur ajoutée et suscité de nouvelles formes de collaboration.»
Les bonnes pratiques du développement régional lié au paysage
Sur mandat de l’OFEV, PLANVAL AG a examiné les possibilités et les moyens pratiques de considérer le paysage comme un potentiel de développement régional durable, ainsi que la façon dont les régions peuvent profiter concrètement d’une thématique «paysage». Cette étude2 inclut plus de cent projets paysagers et classe leurs stratégies de mise en valeur du paysage en trois catégories: «marché» (lieu de résidence, tourisme, énergie), «compensation pour la préservation» ou «mixte» (parcs, agriculture). Elle approfondit enfin douze exemples types de Suisse dont le contenu couvre un large éventail de domaines d’activité. La mise en valeur réussit le mieux lorsque les potentiels spécifiques d’un paysage sont identifiés, exploités de manière ciblée et préservés. Dans la plupart des cas, ceci requiert l’interaction de plusieurs domaines tels que le tourisme, l’agriculture et protection de la nature. Une caractéristique centrale de ces exemples types est qu’un service veille à leur pilotage à long terme et à leur coordination. Les stratégies régionales se sont révélées très utiles à cet effet (cf. regioS 17). Pour la mise en pratique, l’étude esquisse un modèle doté de voies de développement divisibles en six phases. Elle souligne également l’orientation à long terme. Les participants font rarement l’expérience de succès rapides. Le succès exige au contraire ténacité, persévérance et patience.
«100 % Valposchiavo»
Le développement du paysage dans le val Poschiavo, où se déroule actuellement la deuxième étape du projet «100 % Valposchiavo», le montre de façon impressionnante. Le but de ce projet est que, d’ici 2028, toutes les paysannes et tous les paysans de la vallée non seulement cultivent leurs exploitations de manière biologique, mais aussi transforment eux-mêmes tous leurs produits – produits laitiers et carnés, farine de sarrasin, fines herbes, fruits, etc. – et les commercialisent sous la marque «100 % Valposchiavo». La région crée ainsi une chaîne de création de valeur ajoutée intégrée. Avec un franc succès: «Plus de cent produits ont déjà le certificat», déclare Cassiano Luminati, directeur du Polo Poschiavo. Depuis 2015, la plupart des restaurants de la vallée ont à leur carte des spécialités préparées exclusivement avec des ingrédients locaux. La Confédération participe aux coûts de l’étape actuelle (2021-2028) à raison de 10,7 millions de francs dans le cadre du programme des projets de développement régional (PDR) de l’Office fédéral de l’agriculture. La transformation du val Poschiavo en une «bio smart valley» innovante a été planifiée de longue date. «La vallée compte parmi les pionniers de l’agriculture biologique», rappelle Cassiano Luminati. À l’heure actuelle, 95 % de la surface agricole est déjà exploitée de manière biologique – un pourcentage unique en Suisse! L’inscription en 2008 de la ligne ferroviaire de la Bernina au patrimoine mondial de l’UNESCO a constitué une étape décisive pour le développement de la vallée. «Nous avons ensuite développé de manière participative une stratégie régionale centrée sur les ressources matérielles et immatérielles de notre région», poursuit Cassiano Luminati. L’objectif est de faire du paysage unique du val Poschiavo le fondement économique de son développement régional, en empruntant la voie d’une symbiose entre agriculture biologique et tourisme durable. La vallée se trouve au beau milieu d’un projet à long terme que la population mettra en œuvre pas à pas. À cet effet, celle-ci utilise habilement les nombreux instruments que la politique met à sa disposition. Avec son dernier projet, le projet-modèle «pérenniser les valeurs paysagères pour les générations futures», la vallée essaie de définir la voie de l’avenir à l’aide de «Perspectives 2040» communes. La mémoire historique de la vallée, la connaissance traditionnelle du paysage et les valeurs de la population locale doivent imprégner encore plus fortement les processus de développement régional.
Inspiration historique
Quels que soient les instruments de promotion, environ deux tiers des projets de mise en valeur du paysage examinés dans l’étude de PLANVAL concernent le tourisme. Ce n’est pas un hasard, étant donné la densité unique de paysages attractifs en Suisse et l’évolution historique du pays. La «découverte des Alpes» par de jeunes voyageurs surtout anglais a pour ainsi dire été à l’origine du tourisme suisse. Sur le modèle du «Grand Tour» que Thomas Cook a mis sur pied pour la première fois en 1858 comme voyage organisé à travers la Suisse, le projet «Grand Tour of Switzerland» lancé par Suisse Tourisme en 2015 est centré sur la diversité paysagère. Cet itinéraire de 1640 kilomètres traverse, le plus souvent en voiture, les paysages les plus spectaculaires et les villes les plus attractives de Suisse. Il relie 5 cols alpins, 22 lacs, 12 sites classés au patrimoine mondial de l’UNESCO et 45 curiosités. Cette offre recourt aux infrastructures existantes de transport, de restauration et d’hébergement. Les seules nouveautés sont 650 panneaux indicateurs discrets et 48 cadres de photographie fixes qui entourent des éléments particuliers du paysage et invitent à les photographier. «Avec eux, nous mettons l’aspect iconographique des paysages et des localités au cœur de l’expérience», explique leur concepteur Matthias Imdorf, d’Erlebnisplan AG, qui était de la partie en tant que conseiller. Il est convaincu que la mise en valeur du paysage recèle encore «un potentiel presque infini».
Utilité économique difficile à chiffrer
Les exemples de l’étude de PLANVAL démontrent de manière impressionnante qu’une utilisation et une gestion durables du paysage, axées sur la qualité et diversifiées, peuvent réussir à deux conditions: la connaissance des conditions-cadres légales complexes et une coordination adéquate des participants dans le sens d’une gouvernance optimale.
Dans de nombreux exemples, les avantages écologiques et esthétiques du paysage sont aussi évidents que les bénéfices immatériels tels que gain de prestige, culture de la coopération ou nouveaux réseaux socio-économiques. Un défi subsiste: faute de données, il est souvent difficile de savoir précisément quelle création de valeur ajoutée concrète il est effectivement possible d’atteindre avec des produits et des services liés au paysage. On ne peut déterminer qu’indirectement les avantages économiques que perd une région lorsqu’elle renonce à la mise en valeur du paysage. Il faut encore fournir certains travaux économiques de base sur ce point. «Il est certes possible de calculer assez précisément dans la plupart des cas l’utilité immédiate du paysage, par exemple pour l’agriculture et la sylviculture ou pour une région et une problématique concrète, mais les services culturels et touristiques du paysage sont difficiles à chiffrer globalement», constate une méta-étude3 menée par des économistes de la HES-SO Genève.
Il n’existe pas forcément de lien direct entre la valeur écologique d’un paysage, par exemple comme point chaud de biodiversité, et sa valeur économique. Un parc urbain très fréquenté est peut-être plus précieux économiquement qu’une région naturelle périphérique. Afin de chiffrer quand même la valeur et les prestations d’un paysage, l’économie du paysage se sert de méthodes indirectes, par exemple de la valeur des biens immobiliers, pour évaluer la vue sur un lac ou sur des montagnes. Une étude de l’OFEV4 de 2014 estime de cette façon la valeur récréative de la forêt suisse à deux à quatre milliards de francs par an. Une étude5 de l’EPFZ et du Réseau des parcs suisses publiée en 2018 chiffre la création de valeur ajoutée touristique à 22 millions de francs par an pour le Parc paysager de la vallée de Binn et à 106 millions pour le Parc Ela.
Globalement, les évidences en termes d’évaluation économique du paysage sont donc encore insatisfaisantes à l’heure actuelle. Mais la mesurabilité de la création de valeur ajoutée induite par le paysage serait une condition importante pour aborder de manière plus ciblée le développement régional lié au paysage. L’expert en tourisme Jürg Schmid voit surtout dans le tourisme proche de la nature des possibilités de croissance supérieures à la moyenne. Elles pourraient être exploitées sans porter atteinte à la qualité des paysages. Selon lui, «les parcs naturels régionaux et les régions inscrites au patrimoine mondial présentent l’essence de la nature suisse et de la diversité régionale. Mais il manque des offres qui donnent envie aux visiteurs et plus spécifiquement aussi des expériences destinées au marché du voyage haut de gamme qui transforment l’important potentiel en création de valeur ajoutée».
Il existe donc des potentiels, des instruments et de bons modèles pour exploiter et promouvoir la grande qualité paysagère des régions de Suisse. Ce qu’il faut surtout, ce sont des personnes engagées et endurantes, qui ont de bonnes idées, qui identifient les potentiels et qui incitent les différents prestataires à participer.
Cadre légal et instruments de promotion
Législation pertinente pour le paysage: Constitution fédérale (Cst.), loi sur l’aménagement du territoire (LAT), loi fédérale sur la protection de la nature et du paysage (LPN), ordonnance sur les parcs (OParcs), loi sur l’agriculture (LAgr), loi sur les forêts (LFo), loi sur la protection des eaux (LEaux), loi fédérale sur les chemins pour piétons et les chemins de randonnée pédestre (LCPR), loi sur la chasse (LChP), loi fédérale sur la pêche (LFSP), loi sur l’énergie (LEne), loi sur les routes nationales (LRN), loi sur les chemins de fer (LCdF), Conception Paysage Suisse (CPS), etc.
Instruments de promotion de la Confédération: Nouvelle politique régionale(NPR), politique fédérale des parcs, conventions-programmes dans le domaine de la protection de la nature et du paysage, aides financières en vertu de l’art. 13 LPN (voies de communication historiques, localités caractéristiques et conservation des monuments historiques), projets de développement régional (PDR), projets de qualité du paysage (PQP), projets-modèles pour un développement territorial durable (MoVo), promotion touristique (Innotour), Fonds Suisse pour le Paysage, etc.